Le rideau est tombé hier soir sur cette 23e session des Journées cinématographiques de Carthage que le public tunisien a accueillies avec un grand «enthousiasme» cette année, investissant avec empressement les salles, pour certaines en activité exceptionnelle ! Point fort: le nombre important de ceux qui se sont déplacés pour venir voir «du cinéma»... et qui ne sont pas que des cinéphiles, des professionnels et des amateurs de cinéma : ils rejoignent un spectre plus large de citoyens. Mais la satisfaction à la vue de cet engouement pour le 7e art (surtout pour les films tunisiens et arabes) est à nuancer à cause d'un problème d'indiscipline, souvent ingérable, et de manque de respect envers ce cinéma ! Les courts métrages, qui d'habitude et hors événement, ne jouissent pas d'un bon accueil de la part du grand public — car méconnus (par les profanes) et considérés comme des sous-films qui viennent souvent (lors des projections) «faire la première» d'un long métrage — ont suscité l'intérêt d'un public curieux. Notamment les 11 courts métrages sélectionnés pour la compétition officielle, répartis en deux programmes (qu'on n'a pu voir qu'à partir du 4e jour des JCC !). Malheureusement, chaque séance de projection s'est déroulée dans la même ambiance «bon enfant», avec des intermèdes musicaux (sonnerie de portables), des commentaires bruyants ponctués d'applaudissements déplacés ! Tout cela, malheureusement, a gâché le plaisir de certains et n'a pas favorisé une bonne appréciation des films… Parlons maintenant de ces films, du côté de la sélection internationale : Pumzi, un film aux allures futuristes et vert par excellence signé Wanuri Kahiu. Il nous plonge dans un futur kenyan fait de sécheresse, de servitude et de cloisonnement. On s'use pour une goutte d'eau et on fait dans le recyclage, récupérant même les liquides sécrétés par le corps ! Dans cette ambiance de mauvais songe, on n'a même plus le droit aux rêves. Mais Asha, une scientifique, ne rêve pas quand elle tombe sur une eau pure, seule source de vie. Elle décide alors de quitter son entourage confiné et de partir à la recherche d'une utopie verte. Ce film écolo nous invite, à travers une image «clean», un décor futuriste et un rythme souple, à voir notre devenir, à revoir notre manière de traiter la terre, notre manière de gaspiller (et détruire) ses richesses. La chute émouvante nous renvoie aux sources premières de la vie. Un bon prétexte pour faire de l'image ! Nostalgique est Promenade : un film libanais signé Sabine El Chamaa. A l'image, un décor fait de ruines, de pierres, qu'une dame récolte… Elle tend l'oreille à chaque fois et parle à ses souvenirs, aux réminiscences pariétales d'un foyer ravagé par la guerre. Ces mêmes morceaux faits de souvenirs qu'elle emporte ailleurs pour reconstruire «sa vie»… A bien des égards, une bien belle image. Les films Rouge pâle, de l'Egyptien Mohammed Hammad, Khouya de l'Algérien Yanis Khoussem, et Perdus de vue de la Syrienne Siwar Zirkly, traitent tous de la condition de la femme arabe. Dans Rouge pâle, Shaima, une jeune adolescente, est confrontée à sa féminité mise en cause par le choix de sa lingerie fine… Le film montre le tiraillement que vit une jeune fille entre un entourage conservateur et son envie de féminité… Tragique est Khouya qui nous parle de la tyrannie machiste que subissent trois sœurs de la part de leur frère et qui conduit au fratricide. Autre fin funeste mais, cette fois, c'est un frère qui tue sa sœur : il s'agit de Perdus de vue. Une sœur fugueuse est retrouvée par son frère grâce au programme télévisé Perdus de vue. Ces trois films qui traitent de social ont suscité l'intérêt du public, plus sensible à ce genre de thème. Encore du social avec l'excellent The abyss boys, du Sud Africain Jan Hendrik Beetge, qui nous plonge dans les ghettos et nous confronte au destin tragique de deux frères qui tentent désespérément d'en finir avec leurs activités de braconnage. Le réalisateur a pu nous transmettre une violence crue à travers des scènes sans maladresses, sans sur-jeu, rendu par l'excellent jeu des deux jeunes acteurs Travis Snyder et Moegammed Ja'qoob Isaacs. La Libye a marqué sa présence avec Partage, un film réalisé par Salah Ghuweder, qui nous parle justement de partage. Le partage d'une paire de baskets qu'un frère et une sœur se passent à tour de rôle pour pouvoir aller en cours au risque d'arriver en retard et d'être punis…La caméra fait un focus sur les pieds que l'on retrouve tout au long de l'image, des pieds nus, des pieds décorés d'henné, etc. Ces mêmes pieds que l'on reverra vers la fin du film dans une cérémonie funeste… Le film voulait faire dans le symbolisme (le henné, la présence du scorpion…) mais les allusions restaient au premier degré et la chute faisait dans le calembour noir : la maison de la famille est bombardée et cela profite (ou pas !!!) aux deux enfants… Le film éthiopien Lezare est une fable écologique sur le partage. Un bon rythme, mais qui a souffert d'une image pixélisée. Un autre film libanais 9 Aout, une fiction en noir et blanc qui met en scène un poème de Mahmoud Darwich et fait un arrêt sur image sur la condition tragique et la dimension humaine de la personnalité du martyr. L'image était poétique comme les vers du grand poète mais elle frôlait, par moment, la simple illustration. Les deux films tunisiens sélectionnés pour la compétition officielle ont été fortement applaudis par l'audience. Linge sale de Malik Amara (qu'on a pu voir récemment en avant première) traite, sur fond de bouffonneries, d'une union ratée entre un homme passif et une femme «tyrannique», le tout soutenu par une impeccable image signée Soufien el Feni. Le second film Vers le nord, premier film professionnel de son jeune réalisateur Youssef Chebbi, aborde le délicat sujet de l'émigration clandestine. C'est l'histoire de deux passeurs, Mehdi (Hilmi Dridi impeccable !) et Nito (Mohammed Grayaa), qui s'apprêtent à conclure un deal avec une mafia albanaise qui s'avère être mêlée à un trafic d'organes. Mehdi, qui n'était pas au parfum, découvre que son frère fait parti du «convoi», et c'est alors que la situation vire au drame. Encore une bonne prestation au niveau de l'image, cette fois signée Amine Messaadi. Une sélection satisfaisante dans l'ensemble, malgré le traitement statique de quelques films. Deux coups de cœur pour le Sud Africain et le Kenyan.