Malgré l'amélioration des conditions de détention des prisonniers, la prison de Borj Erroumi souffre, comme toutes les autres prisons civiles, d'un mal devenu chronique depuis plusieurs années : l'encombrement, casse-tête quotidien des gardes et des directeurs de prison. Toutefois, une formation à la carte est proposée aux détenus pour leur apprendre un métier et l'option de la peine alternative sera appliquée pour les petits délinquants afin de réduire les récidives Il y a seulement quelques années, l'évocation de la prison de Borj Erroumi qui surplombe la ville de Bizerte, faisait froid dans le dos. Dans l'imaginaire collectif mais également dans les faits, cette prison inspirait la peur. D'abord parce qu'elle était réputée abriter les pires criminels, les "ennemis de la société", ensuite parce qu'elle évoquait pour certains opposants et militants des droits de l'Homme, des souvenirs de l'enfer carcéral du temps de la dictature. Aujourd'hui, depuis la chute de régime de Ben Ali, l'administration pénitentiaire, animée par la volonté politique de ceux qui se sont succédé à la tête du ministère de la Justice mais aussi poussée par la pression de la société civile, a entrepris un travail de longue haleine de transformation des mentalités et de déconstruction des idées reçues. «Cela fait déjà une quinzaine d'années que je suis là, nous dit l'un des détenus, tout en tressant un filet de pêche. Et je peux vous dire que j'en ai vu du changement». Depuis quelques mois, il a rejoint comme d'autres prisonniers, un atelier de fabrication de filets de pêche. Il explique notamment que depuis quelques années, les conditions de détention se sont nettement améliorées. Formation à la carte Encadré de très près par les agents de l'administration et le staff du tout nouveau ministre de la justice Karim Jamoussi en visite à la prison, on nous fait visiter l'ensemble des ateliers. L'ambiance est bizarrement détendue. A l'atelier de coiffure, l'un des prisonniers est confortablement assis sur un fauteuil, tandis qu'un autre lui rase la barbe. Les pensionnaires dont la plupart sont condamnés à de lourdes peines, pour trafic de drogue ou assassinats, semblent se réjouir des quelques heures d'évasion que leur procure ces activités. "Quand je sortirai de prison, j'aurai au moins un vrai métier qui me permettra de refaire ma vie", confie l'un des pensionnaires. Que ce soit dans ces ateliers ou dans celui de la fabrication de bijoux, les prisonniers manipulent sous les yeux des officiers, des objets contondants et dangereux. Pourtant, même lorsque le ministre de la Justice est dans la salle, ces officiers ne semblent pas inquiets. "Bien évidemment nous avons des critères bien précis, nous explique finalement le colonel Romdhane Ayari, directeur de la prison de Borj Erroumi. Il y a une commission permanente pour choisir et trier les prisonniers qui peuvent suivre ces formations et ces ateliers. Ils sont sélectionnés selon des critères en relation avec leur choix d'apprendre, la nature de leurs condamnations ainsi que leur bonne conduite". Les prisonniers-apprenants sont suivis pendant les six mois de la formation et ceux qui dérogent aux "règles de bienséance" sont automatiquement rayés des listes. Mais la plupart du temps, les pensionnaires de la prison sont motivés. Ces activités les occupent et leur permettent de rêver d'une vie après l'incarcération. Plus loin, une salle a été aménagée pour les activités culturelles. Il y a quelques semaines, elle servait de salle de projection dans le cadre des Journées Cinématographiques de Carthage. A l'intérieur, un prisonnier à la voix qui ressemble étrangement à celle de feu Kacem Kéfi chante un répertoire de chansons tunisiennes folkloriques, pendant que d'autres pensionnaires écoutent dans le calme. "Ce sont pour la plupart des condamnés à perpétuité", me souffle à l'oreille un officier. Des extensions pour contrer l'encombrement Malgré l'amélioration des conditions de vie des détenus, la prison de Borj Erroumi, souffre, comme d'ailleurs toutes les autres prisons, d'un mal devenu chronique depuis plusieurs années : l'encombrement, le casse-tête quotidien des gardes et des directeurs de prison. Depuis quelque temps, un projet d'extension de la prison a débuté. "Les travaux de la première tranche ont d'ores et déjà commencé avec un taux d'avancement qui avoisine les 60%, explique le Colonel Romdhane Ayari. De nouveaux complexes verront le jour dans les prochaines années. Il s'agit de plusieurs nouvelles cellules mais également des ateliers de production et de formation, "respectant les standards internationaux", nous assure-t-on. En plus des projets d'extension, le ministère de l'Intérieur mise sur une plus large application des peines alternatives. La loi existe, mais ce sont les mécanismes de mise en œuvre qui manquent. Travaux d'intérêt général pour les petits délinquants Hier, le ministre de la Justice a inauguré un bureau de probation à la Cour d'appel de Bizerte, après ceux de Monastir et de Sousse. Sous la tutelle du juge d'application des peines, le bureau est composé de trois accompagnateurs ainsi que des cadres multidisciplinaires. Le personnel a bénéficié d'un stage aux services pénitentiaires d'insertion et de probation en France, où la peine alternative est appliquée depuis longtemps. «L'idée est de se prémunir contre la récidive surtout dans les délits qui ne constituent pas un danger imminent pour la société», note Sofiene Zghich, porte-parole de la Direction générale des Prisons et de la Rééducation. Nous essayons de sensibiliser les institutions et notamment les collectivités locales pour qu'elles acceptent d'accueillir ces prisonniers atypiques. L'idée est de leur proposer d'effectuer des travaux d'intérêt général. Pendant deux heures par jour (qui pourraient être regroupées le weekend si l'individu travaille pendant la semaine), les coupables de petits délits travaillent en faveur de la société, sans rémunération, bien entendu. En plus de réduire l'encombrement dans les prisons, les peines alternatives permettent de réduire l'impact social d'une condamnation. Ainsi, le concerné pourra continuer à aller tous les jours à son travail, à voir sa famille, tout en payant sa dette à la société. Et cerise sur le gâteau, la fameuse B3 qu'on craint tous qu'elle ne soit éclaboussée, reste propre lorsqu'on est condamné à des travaux d'intérêt général.