Voici donc Ben Ali et Noura à Rabat, dans une belle résidence, pour une nouvelle lune de miel. Or, les services de renseignements du Royaume Chérifien sont à l'image de ceux que dirigeait, à Tunis, Ben Ali. Le Roi Hassan II est rapidement informé de la fonction antérieure du nouvel attaché militaire à l'ambassade de Tunisie, de sa situation matrimoniale et du fait qu'il est à Rabat non pas avec son épouse mais avec une maîtresse, la polygamie étant interdite dans le pays de Bourguiba. Offusqué par tant de désinvolture, le roi a refusé de recevoir Ben Ali, contrairement à une coutume locale solidement établie. En effet, tout attaché militaire est présenté par son ambassadeur au souverain. De cette offense, Ben Ali gardera rancune contre le roi. De son côté, Hassan II – qui décédera le 23 juillet 1999 à l'âge de 70 ans – affichera un mépris de plus en plus manifeste à l'égard de Ben Ali, même après le 7 novembre 1987. Nous allons comprendre pourquoi. Au cours de son séjour marocain, le jeune officier désœuvré s'occupe comme il peut. Pour parfaire sa formation technique – il est féru d'écoute téléphonique –, il s'inscrit dans une école privée de la rue de la Lune, à Paris, qui dispense des cours d'agent technique par correspondance en électronique. C'est ainsi qu'est né le (vrai) mythe de son (faux) diplôme d'ingénieur en électronique que l'on retrouve dans sa biographie officielle. Tahar Belkhodja, dans son livre Les trois décennies Bourguiba a repris, sans le vérifier, un autre mythe, qui fait encore sourire les officiers ayant travaillé avec Ben Ali. Il concerne la prétendue blessure qu'il aurait contractée lors de l'attaque de l'aviation française contre le village tunisien de Sakiet Sidi Youssef, en 1957. Ben Ali n'était pas dans ce village frontalier avec l'Algérie au moment de l'attaque. Car il ne pouvait pas y être… Naïma découvre le secret En mai 1976, Ben Ali est à Tunis pour deux ou trois semaines de vacances pendant que Noura est restée à Rabat. Naïma fait savoir à son mari qu'elle se propose de tirer profit des vacances scolaires pour passer le mois de juillet au Maroc. Ben Ali est coincé. L'argumentation soutenue en décembre 1973 tombe à l'eau. Il ne peut qu'accéder au désir de sa femme. De retour à Rabat début juin, il demande à Noura de regagner Tunis avant la fin du mois car de gros travaux, lui explique-t-il, vont être entrepris dans la demeure. Noura est donc à Tunis, début juillet, pendant que Naïma assure la relève à Rabat. Charmée par la capitale marocaine et par la résidence du diplomate, elle demande à Ben Ali de la laisser prolonger son séjour pendant le mois d'août, puis jusqu'à la fin des vacances scolaires. Pendant ce temps, la maîtresse s'impatiente et interroge son amant sur la fin des gros travaux. Voulant lui faire une surprise, elle prend l'avion (...) De retour à l'ambassade, Ben Ali téléphone à Tunis et demande à Ahmed Bennour, alors attaché de cabinet au ministère de la Défense nationale, de contacter d'urgence Abdelmajid Bouslama, directeur général de la Sûreté nationale au ministère de l'Intérieur, et de le prier de faire confisquer le passeport de Noura dès qu'elle débarquera à l'aéroport d'El Aouina. C'est ce qui fut fait. Mais Noura n'est pas de celles qui se laissent faire. Elle soutient que la confiscation d'un passeport est contraire au droit et qu'en tant que citoyenne elle doit disposer d'une telle pièce d'identité. Ses connaissances interviennent en sa faveur. Abddelmajid Bouslama, fin diplomate, lui restitue son document de voyage avec la mention "Pour tout pays, sauf le Maroc". Aucune affectation La blessure d'amour-propre ne sera jamais cicatrisée malgré une reprise des relations après le 23 décembre 1977 et la nomination de Ben Ali au ministère de l'Intérieur au poste précédemment occupé par Abdelmajid Bouslama. Deux ans plus tard, en 1980, Noura se marie au Qatar avec un émir, ministre d'Etat. Elle mènera une vie de princesse entre Doha, Tunis et Paris, où une résidence secondaire lui est attribuée. Bientôt, elle sera mère d'un enfant. Avec les ans, Noura a pris du poids mais elle est demeurée resplendissante, aussi belle au physique qu'au moral. Un sourire enchanteur, un regard cajoleur et un langage affable et relevé fort rare de nos jours. Le 7 novembre 1987, elle téléphone d'Al-Dawha pour féliciter l'amant toujours présent dans son coeur, lui exprimer sa joie et lui souhaiter réussite dans ses nouvelles fonctions. Lors de ses fréquents séjours à Tunis, elle ne manque pas de lui téléphoner et de prolonger sa communication. Elle décéda en 2002 mystérieusement. C'est donc au cours du début de l'automne 1977 que le colonel Ben Ali est rentré du Maroc, une fois sa mission achevée. Il réintègre son ministère d'origine mais ne reçoit aucune affectation. Abdallah Farhat, titulaire pour la seconde fois du portefeuille de la Défense nationale le fait installer dans un bureau proche du sien, sans lui définir de fonction. Des jours passent… puis des semaines… et bientôt le colonel entame son quatrième mois de désoeuvrement. C'est vraiment la poisse. Enfin le jour J arrive. Le vendredi 23 décembre 1977, vers 9h, Abdallah Farhat fait savoir à l'officier supérieur de rentrer chez lui et de retourner vite au bureau, après s'être habillé en civil. Et c'est ainsi que vers 11h30, comme si on craignait une invasion d'extraterrestres, le Premier ministre Hédi Nouira et le ministre de la Défense nationale, accompagnés d'un officier supérieur de l'armée, font irruption au ministère de l'Intérieur. Le Premier ministre demande qu'on lui ouvre le bureau de Tahar Belkhodja, le ministre de l'Intérieur en mission à l'étranger. Une maison de verre Prévenus par les policiers en faction, Othman Kechrid et Abdelmajid Bouslama, respectivement secrétaire général du ministère de l'Intérieur et directeur général de la Sûreté nationale, quittent leurs bureaux et, le regard effaré, accueillent les visiteurs sans rien comprendre à leur irruption. L'événement rompt avec les traditions. Dans une allocution bien mûrie, l'ancien ténor du barreau dit qu'"en application de la règle d'alternance dans l'exercice des responsabilités administratives", le Président de la République lui a donné pour mission d'annoncer que M. Tahar Belkhodja est appelé à de nouvelles fonctions et que la relève sera assurée "momentanément" par M. Abdallah Farhat, ministre de la Défense nationale. Le Premier ministre ajoute qu'il est également chargé d'annoncer que M. Zine El Abidine Ben Ali est nommé directeur général de la Sûreté nationale en remplacement de M. Abdelmajid Bouslama. Enfin, Hédi Nouira précise que le Chef de l'Etat l'a chargé de témoigner sa reconnaissance à M. Tahar Belkhodja et à M. Abdelmajid Bouslama, le premier "pour les services louables qu'il a rendus au département de l'intérieur en faisant, au vrai sens du terme, un département de sécurité"; le second "pour la compétence dont il a fait preuve dans l'exercice de ses fonctions, à telle enseigne que la direction de la Sûreté nationale a pris valeur d'exemple en matière d'assouplissement des procédures administratives." M. Nouira ajoute que, personnellement, il a la plus grande estime pour les hautes qualités morales de M. Bouslama. Mais le baume ne trompe personne, d'autant plus que le Premier ministre termine par une définition qui laisse perplexe l'auditoire restreint invité à cette curieuse cérémonie d'investiture‑: "Le ministère de l'Intérieur, dit-il, est une maison de verre où il ne doit y avoir ni arrière-pensées ni complaisances." (A suivre)