Par Ferid BOUGHEDIR * Les cinéastes ont été trahis dans leur projet de développement du cinéma tunisien par l'ancienne «ACT-RCD», puis déçus par le gouvernement qui ne l'a jamais appliqué Une fois un consensus obtenu entre les cinéastes en octobre 2010 sur les bases nécessaires du «Projet de développement du cinéma tunisien» adressé au gouvernement, leur attente a de nouveau été déçue: car après un an et demi de ce travail militant et bénévole de tous les professionnels de toutes générations , 2010, pompeusement proclamée au plus haut niveau de l'Etat «L'Année du cinéma» dès le mois d'avril, s'est terminée sans que le gouvernement n'applique aucune des dispositions contenues dans le «Projet de développement du cinéma et de l'audiovisuel» dont nous avions pourtant lu (notamment, de nouveau, dans l'hebdomadaire «Jeune Afrique» que le Premier Ministre «en faisait une affaire personnelle…». Seule est parue dans «La Presse» l'intention de faire «une étude pour la faisabilité d'un Centre national du cinéma alimenté par les ressources du marché» , étude qui n'a jamais vu de début d'exécution à ce jour… Pas plus que l'étude chiffrée de toutes les données du marché audiovisuel tunisien devant servir de base nécessaire à la réforme, réclamée dans le rapport. Aujourd'hui que l'ACT est de nouveau représentative, aux côtés du syndicat des producteurs, du syndicat des techniciens et des Fédérations cinématographiques, elle doit tenir compte de tout ce travail effectué : tout au long de mon parcours, j'ai été amené à faire la synthèse et à rédiger les recommandations de bien des colloques «Economiques» des JCC sur la viabilité des systèmes cinématographiques, depuis 1974 jusqu'à 2002, j'ai également été amené à m'occuper de la rédaction du «Manifeste des cinéastes africains» à Niamey en 1982, de ceux de Mogadiscio en 1981 et 1983. Ce qui m'a ensuite poussé à consacrer mon Doctorat d'Etat de 1986 à «L'économie et à la thématique des cinémas arabes et africains» sur un quart de siècle… Etant un admirateur et un disciple du pionnier Tahar Cheriaâ, je n'ai pas de mérite particulier à avoir fait ce parcours, sinon ma foi dans le bien-fondé de sa cause : que tous les jeunes Tunisiens aient le droit de s'exprimer par le 7e art, avec leurs images propres afin de ne pas rester les consommateurs passifs des images venues d'ailleurs. Ayant eu ainsi à étudier la viabilité de la plupart des «systèmes de soutien» dans le monde, je peux témoigner que les deux «piliers» du projet élaboré par les cinéastes, à savoir le «Fonds de soutien» et le «Cnca» sont bien adaptés à ce qui se fait de plus avancé aujourd'hui dans le monde. C'est pourquoi je souhaite que les dirigeants de la nouvelle ACT tiennent compte du travail sérieux effectué par leurs collègues cinéastes, malgré la fin de non-recevoir du gouvernement à leur projet, et qu'ils exigent du nouveau gouvernement qu'il le prenne en compte. Je souhaite, même si ce travail demande encore discussions et améliorations, qu'on ne cède pas en cette bienheureuse période libératoire où abondent les remises en cause, mais aussi les règlements de comptes à la tentation de «jeter le bébé avec l'eau du bain !» sous le prétexte absurde que ce projet qui a été en réalité «arraché» grâce à la contestation des années 2000 aurait été fait par des «vieux» contre les «jeunes» «sous l'ancien régime» ! Les nouveaux dirigeants de l'ACT doivent défendre et poursuivre le travail de leurs collègues Les «états généraux» mis en place par la nouvelle direction de l'ACT auront le mérite d'écouter tout le monde, «anciens» et «nouveaux» cinéastes, de noter toutes les revendications et toutes les propositions. Il faudra ensuite nécessairement les comparer à celles émises en 2009 et 2010 pour amender, compléter ou améliorer ces dernières après discussion au sein de l'ACT, et après dialogue avec les autres organisations cinématographiques tunisiennes. Car faire table rase pour un motif «révolutionnaire» de ce projet né du militantisme de collègues cinéastes serait plus qu'irresponsable,ce serait une grave faute professionnelle qui viendrait paradoxalement remettre les cinéastes sur la même position que celle de la précédente direction de «ACT-RCD» : elle viendrait alors confirmer le travail de sape de cette ancienne direction et son refus de reconnaître ce projet de réformes. Un projet destiné a éliminer «les passe- droits», à doter le cinéma tunisien de structures donnant plein emploi aux cinéastes, et surtout à leur redonner dorénavant la parole pour les décisions qui les concernent. En effet, la bataille actuelle est de donner à tous du travail et le moyen de s'exprimer par le cinéma et la vidéo et non de donner le pouvoir à tel groupe au détriment d'un autre. Car l'avenir du cinéma tunisien nous concerne tous. * Critique et historien du cinéma - Professeur d'université - Réalisateur