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Médias sociaux : la rupture juvénile ?
OPINIONS
Publié dans La Presse de Tunisie le 01 - 03 - 2011


Par Khaled EL MANOUBI *
Nous avons été parmi les très rares auteurs à insister sur le rôle des institutions évolutives des marchés au comptant et à terme, comme fondement inégalitaire de la démocratie — par définition égalitaire — politique, financière et monétaire. En l'absence de tout ou partie non seulement de la coque — apparence des institutions, mais aussi et surtout du contenu- fond ou essence de ces institutions, et c'est la thèse qui nous est propre, il n'y a point de sujet de la seule société moderne qui compte en logique, à savoir la société penta-séculaire capitaliste. Qu'entendons-nous par «en l'absence …de ces institutions» ?
Pour s'établir, les institutions capitalistes ont dû annexer et transformer toutes les sphères de la société de classes anciennes, et en particulier les sphères politiques et idéologiques. Mais le capitalisme a pu mettre à profit sa nature marchande pour tirer les marrons du feu sans transformer ce feu à son image‑: par l'échange, par exemple, il peut pressurer des populations entières demeurées parquées dans leurs institutions surannées, sclérosées et, à la longue, suicidaires. La ponction opérée se fait à une échelle qui dépasse de beaucoup l'exploitation capitaliste du moment. L'histoire des colonies de peuplements issus de l'Europe occidentale, ce berceau du capitalisme, illustre bien ces propos de deux manières :
Ces colonies ne peuvent éviter en général le rapatriement qu'en s'autonomisant et qu'en s'érigeant en de nouveaux pays capitalistes.
Les populations autochtones ne sont, pour l'essentiel, exposées à la modernité qu'au contact des colons. Il en découle que la décolonisation n'élève point les individus chez eux à la dignité de sujet si les colons devaient choisir entre la valise et le cercueil.
Deux exceptions confirment cette règle: 1) c'est en ayant eu l'intelligence d'accepter l'hégémonie socio-économique des Européens que les Noirs d'Afrique du sud ont pu préserver tant bien que mal les institutions de la plus hideuse des colonies de peuplement, celle de l'apartheid; 2) les petites îles ou contrées qui ont tourné le dos à la décolonisation ont rallié, pour l'essentiel, les institutions actuelles du capitalisme et leur corollaire , la dignité de sujet .
A contrario, comment peut-on voir que nous, Tunisiens, par exemple, sommes étrangers, jusqu'à la veille du 14 janvier au moins, à la dignité de sujet ? De telles considérations nous mènent nécessairement trop loin pour un tel article. Contentons-nous ici d'illustrer cette affirmation par les observations suivantes.
1) Evacuons d'abord la question non pas sociale, mais celle du communisme. Celui-ci, lorsqu'il est conséquent comme il l'a été en Chine, est un produit du capitalisme malgré la suspension du marché. Mais, d'une part, la suspension infligée au marché n'est qu'une parenthèse historique et, d'autre part, cette parenthèse est en elle-même en fin de compte une forme de modernité. Les formules éclectiques du «socialisme» ne sont en fait que l'une des expressions de l'absence du marché considéré comme fond de la société et du sujet, la social-démocratie échappant à ce jugement, démocratie et marché obligent.
2) Les entorses au marché durant le règne de Bourguiba ont été l'une des causes de la perte des qualifications européennes et juives tunisiennes et ont produit cette absurdité au regard du capitalisme : assurer à la nouvelle bourgeoisie tunisienne, en l'absence d'un capital initial, un taux de profit infini par une dotation en capital financé par le crédit et l'inflation couplée à un gonflement du prix de vente par protectionnisme interposé. En somme, les uns ont été privés de leur propriété et les autres en ont été gratifiés par une spoliation des consommateurs pilotée par «l'Etat». Et sous le règne de Ben Ali, la famille régnante a procédé de manière systématique à la spoliation de tout ce qui rapporte, spoliation à laquelle même les ressortissants des parrains du régime n'ont pas échappé. Or le marché suppose comme condition essentielle la liberté d'acheter et de vendre, autrement dit la liberté de transférer la propriété et donc le respect de celle-ci. Ce n'est donc qu'une ombre du marché que l'on a et non le marché lui-même.
3) Cette attaque en règle contre le fond du marché n'est pas seulement le fait de «l'Etat» et de ses mafieux. En fait, c'est la chose la mieux partagée dans un pays comme la Tunisie : tout le monde ou presque y participe allégrement. Une illustration parmi mille‑: le cancer généralisé des cours particuliers, pratiquement inexistant au début de l'indépendance, a transformé un contrat portant sur un service légal en un contrat sans objet légal mais portant sur une escroquerie au sens du code pénal. En effet, élèves comme enseignants s'accordent à dire que la contrepartie du paiement n'est pas l'amélioration du niveau de l'enseigné mais l'obtention de l'épreuve de l'examen avant la tenue de celui-ci. Et plus récemment encore, et pour épargner aux enseignés et aux enseignants les allers et venues réguliers, est apparue la pratique des cours dits de ‘'révision'' à l'approche de l'examen, cours dont le tarif permet de retrouver le gain habituel et de garantir la divulgation de l'épreuve ou mieux encore l'attribution d'une note ''d'excellence‘'!
4) Les gens «bien» stationnent à midi devant la boulangerie ou l'école en troisième position; les piétons en civil ou en tenue font fi des feux de signalisation; le rendez-vous arabe, la pratique du passe-droit pour ceux qui sont les nôtres ( le passablement tribal «lina») ne sont pas l'apanage des Ben Ali ou des Trabelsi ; le bourrage des urnes , le non-respect des files d'attente ou les normes de production et de qualité, la mise au pas des juges tout comme l'atteinte à la souveraineté du jury d'examen relèvent de la même problématique‑: chacun empiète sur le domaine de l'autre et le nie alors comme sujet , mais il sape lui-même la possibilité qu'il pourrait avoir de devenir socialement sujet.
5) Les points précédents alimentent des tendances suicidaires profondément  enracinées quant à l'existence sociale de chacun. Il n'y a point de discontinuité logique entre celui qui cherche à marcher sur les pieds d'autrui et celui qui se tue en se donnant lui-même la mort.
C'est sur un tableau social fort sombre qu'a pointé la première et toute petite lueur d'espoir de la révolution du 14 janvier en Tunisie. La thèse que nous proposons peut se résumer en cette proposition : avant ladite révolution, le suicide signifie toujours assassinat de l'identité sociale de l'individu seulement lorsque celui-ci se trouve convaincu de se trouver dans une impasse ; par contre et avec cette même révolution, cette conviction n'est plus l'exception, elle tend même à devenir la règle. Il ne nous reste plus qu'à illustrer cette proposition – à défaut de la démontrer – et surtout d'y repérer le rôle incontournable des médias sociaux.
Prenons la Tunisie il y a seulement quelques années. Comme nous venons de le voir, tout le monde ou presque s'accorde à penser que pour gagner quelque chose, il suffit de spolier d'une manière ou d'une autre le voisin. Cette logique est évidemment aux antipodes de l'innovation. Aux pays des sujets, la règle est que pour gagner on doit faire gagner les autres et donc innover : on sait, en effet, depuis Hegel, que rien d'essentiel ne se fait en dehors de l'empire de la nécessité. Hormis les cas d'exacerbation des tendances suicidaires à la somalienne, le jeu économique peut être effectivement à somme positive.
Le prix Nobel d'économie Stiglitz a relevé récemment dans les colonnes du journal La Presse le paradoxe illustré par la Tunisie d'une croissance à long terme de 5% doublée d'une explosion politique; le prix Nobel d'économie Krugman a souligné que dans le tiers monde, la prise en compte de la croissance des facteurs physiques (travail qualifié ou ordinaire et capital) épuise le décompte de la croissance du produit. Autrement dit, le progrès technique ou encore l'innovation fait défaut. On est donc bien dans une logique d'absence d'innovation et donc de jeu à somme au mieux nulle malgré une apparence effective de croissance positive Pourtant, celle-ci ne provient pas seulement de la croissance des facteurs physiques mais également du progrès technique incorporé dans les machines et les logiciels importés à partir des pays de l'innovation, importations de nature à augmenter de façon exogène la productivité du facteur travail. Toujours est-il que la majorité des laissés-pour-comptes eux-mêmes ne parvient pas à jeter par-dessus bord l'espoir de pouvoir gruger autrui pour rebondir. Aussi les cas de désespoir accomplis sont-ils rares de sorte que le passage à l'acte est exceptionnel. Deux voies strictement individuelles s'offrent alors à l'individu : soit joindre l'au-delà en martyr, soit quitter le pays dans l'espoir faible de pouvoir s'installer dans un pays de l'innovation. Ces deux voies se rejoignent sur deux points :
1) l'émigrant brûle («haraga») ses papiers d'identité sociale pour ne pas être refoulé, et le kamikaze brûle son identité corporelle au moyen d'explosifs :
2) les deux «harraga» ne prennent point leur propre société à témoin du moment que celle-ci est abandonnée par un voyage limité à un aller simple.
Et que modifient les médias sociaux dans ce tableau peu réjouissant ? C'est que, laissés pour compte ou pas, tous les individus sont des non-sujets ! La jeunesse, qui constitue naturellement la partie la plus combative de la société, prend alors conscience, grâce au virtuel de ces médias universels, de sa condition de non-sujet au contact des étrangers. Les plus désespérés vont alors jusqu'à l'immolation par le feu non pas pour rejoindre le paradis des martyrs, non point pour seulement se suicider dans son coin, mais aussi et surtout pour prendre à témoin sa propre société sans pour autant attenter à la vie d'autrui. L'immolation se fera alors sur la place publique et face à la maison de l'autorité par ailleurs au moins aussi corrompue que l'individu lambda (cas de Monastir puis Sidi Bouzid). Et c'est là où réside l'espoir : à vouloir prendre à témoin l'ensemble des gens, on finit rapidement par répandre la conscience de l'indignité ambiante et donc celle de la nécessité de se rebeller collectivement contre les pseudo-institutions sociales nécessairement confisquées selon une logique de chefs de guerre. Et pour peu que le peuple se mobilise dans cette voie, la police et l'armée deviennent à la limite superflues à cet égard de par la combinaison de deux nouveautés : les médias sociaux universels et le Tribunal pénal international, lequel est davantage supranational qu'international. Aussi les conservateurs de tout poil sont-ils en train de tenter une résistance sournoise au changement de nature à augmenter les risques de somalisation.
* Ancien doyen et professeur émérite d'économie politique


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