Ministère, lois, programmes, tapages médiatiques, l'environnement pendant la période Ben Ali a été un gros canular. C'était tout simplement une source de gains. Récit d'un pillage orchestré en haut lieu! La protection de l'environnement en Tunisie a été une démarche adoptée depuis les premières années de l'indépendance. C'est ainsi que plusieurs lois et codes ont vu le jour à l'époque, et ont été réadaptés au fil des ans. A titre d'exemple : le Code forestier en 1966 pour protéger les forêts contre, notamment, l'abattage excessif des arbres, l'Office national d'assainissement (Onas) créé en 1974, le Code des eaux en 1975 pour protéger les ressources hydriques, le Code de l'urbanisme en 1979... A partir de l'année 1988, vont s'entasser plusieurs créations : Agence nationale de la protection de l'environnement (Anpe), ministère de l'Environnement et du Développement durable, Agence nationale de gestion des déchets, Agence de protection et d'aménagement du littoral, Centre international des technologies de l'environnement de Tunis, Banque nationale des gènes et d'autres programmes aussi nombreux que similaires. Tout un arsenal d'organes et de textes s'appuyant sur de gros budgets qui l'on ne vérifie pas sur le terrain. Partant du fait que le clan Ben Ali-Trabelsi avait «investi» presque tous les secteurs, nous avons découvert que l'environnement était également son terrain de chasse. Mlika et sa «ville idéale» En apparence, le système est nickel, mais rien n'est transparent en fait. Les structures et les programmes servaient juste à pomper l'argent! Commençons par le plus vorace, Mehdi Mlika, «la cheville ouvrière de tous les programmes de protection et d'aménagement du cadre de vie», comme le décrit Jeune Afrique du 2 janvier 2006 dans un long portrait qui fait l'éloge du «Grand jardinier de Tunisie». P.-d.g de l'Onas de 1988 à1992, il entreprit le gigantesque projet de renouvellement du réseau de collecte et d'évacuation des eaux usées dont les villes supportent les aléas jusqu'à nos jours. En 1992, il devient ministre de l'Environnement dans des circonstances scandaleuses. Le ministre en exercice à l'époque, M.Salah Jebali a été limogé en plein sommet de Rio et sommé de rentrer à Tunis. Mais le chasseur va être chassé: le nouveau ministre va être débarqué en 1999 à la suite d'une protestation de la WWF à propos de la mauvaise gestion des fonds pour le Parc d'Ichkeul. Pendant son exercice très contesté par les associations et organismes écologiques, il entreprit notamment la mise en place d'une chaîne de stations d'épuration et de traitement des eaux usées (5 milliards pièce). Chassé du ministère, Mlika est désormais ministre auprès du Premier ministre chargé de l'Environnement. Il lance avec l'appui de son oncle, le Programme national de la propreté et de l'esthétique de l'environnement (Pnpee) qui vise la création de 30 « villes jardin», plus propres, plus belles, où fleurissent des pôles de développement respectueux de l'environnement, des pôles culturels, sociaux, technologiques … La ville idéale, le Paradis sur terre en somme. L'embellissement, c'est son affaire !Dans le Grand-Tunis, par exemple, il créa une cinquantaine d'espaces verts, planté 70.000 arbres, 1.500 palmiers et 60.000 plantes d'ornement. Budget total de l'opération : 4 milliards, dont la moitié est prise en charge par l'Etat et l'autre sous forme de «participation» des entreprises publiques et privées. L'entretien de ces espaces est confié à 7 entreprises dans son giron. Le créneau environnement est très lucratif et attire les prédateurs. En effet, Mlika va devoir composer rapidement avec Leïla Trabelsi, venue chasser sur son territoire. Les deux «acteurs» vont alors partager le gâteau! Une éco-taxe pour trois «sorties» Le budget réservé au Pnpee est de l'ordre de 80 milliards par an. L'équivalent de celui du ministère de l'Environnement. Mais quelle est l'origine de cet argent ? Poser la question, c'est comprendre les enjeux de l'environnement en Tunisie. Il faut d'abord savoir qu'on est loin, très loin de la noblesse du concept. L'environnement façon Ben Ali et compagnie était un gros canular. C'était tout simplement une manne d'argent comme tant d'autres sources de pillage et tout le tapage fait autour des programmes "verts" made in Tunisia servait à drainer l'argent des investisseurs locaux et surtout des pays et organismes étrangers. La première source de financement et la plus importante s'appelle "éco-taxe", qui représente 2,5% de l'ensemble des taxes douanières sur les produits importés. Un gros paquet qui sert à faire tourner le Pnpee et l'Agence nationale de gestion des déchets(Anged), un établissement public à caractère non administratif créé en 2005 et doté de la personnalité civile et de l'autonomie financière, sous la tutelle du ministère de l'Environnement et du développement durable. Financée à hauteur de 80 milliards par la fameuse éco-taxe (et autres bailleurs de fonds), cette agence gère les décharges contrôlées des déchets ménagers, les centres de déchets ménagers et de déchets industriels. Le plus important, c'est l'impact financier de l'opération. L'Anged cède les marchés de la collecte de déchets (3kg par jour et par habitant) et des décharges en régie à des sociétés privées appartenant à certaines connaissances, moyennant bien entendu des commissions sonnantes et trébuchantes. Massacres écologiques Finalement nous sommes en présence de deux organes (Pnpee et Anged) de l'Etat qui fonctionnent pour la famille ! N'oublions pas une autre source de bénéfices : le Fonds de dépollution (Fodep), une banque financée par une partie de l'éco-taxe (décidemment!), mais surtout par des bailleurs de fonds internationaux, notamment les Allemands, pour lutter contre la pollution industrielle via des stations de prétraitement des usines polluantes, comme les tanneries. En effet, l'industriel polluant est obligé par la loi d'adopter un système de pré-traitement des déchets. Là aussi intervient le clan à travers des sociétés de dépollution qui prennent les marchés contre des "pourcentages"sur le chiffre d'affaires. Résultats de toutes ces manigances : l'"embellissement", dont se targuait Mlika, s'est soldé par une simple «Avenue de l'environnement » dans chaque ville de Tunisie avec quelques bacs à fleurs, des terre-pleins gazonnés et quelques horreurs pseudo-artistiques, marchés qui ont coûté des fortunes dont le principal bénéficiaire est Mehdi Mlika par l'intermédiaire d'entrepreneurs véreux qui n'ont ramassé, eux, que des miettes. Bref, ce sont les budgets des municipalités et du ministère de l'Environnement qui en ont pâti. D'autre part, l'arrachage systématique des arbres pour le commerce du bois, la perte progressive de nos forêts, le rétrécissement du couvert végétal aggravant ainsi les conséquences du changement climatique, se sont poursuivis en toute impunité. Enfin, les choix en matière économique au détriment du patrimoine écologique mondial, comme la station touristique de Zembra (une île abritant un parc national écologique créé en 1977 et inscrit sur la liste du réseau mondial des réserves de la biosphère) et d'autres anomalies encore révèlent l'absence d'une vision claire du processus écologique.