Par Afifa Chaouachi Après le 14 janvier, le premier et le principal obstacle à la liberté et à l'action est tombé, le peuple a fait sa révolution et a libéré les voies jusque-là obstruées. Le travail ne fait, cependant, que commencer, un vaste chantier de déblayage, de défrichement et de construction nous attend car le dégagement du poids lourd qui barrait l'horizon appelle naturellement un acte d'édification régénératrice. Pour édifier il faut d'abord et en toute urgence tourner la page de l'éjection effervescente, légitime et unanime qui a uni tous les Tunisiens le 14 janvier, et passer à la seconde étape, celle du long travail de repérage des obstacles internes et de leur éviction dans la raison, la rigueur, l'abnégation et le respect du métier. Tout cela pour dire que si notre tâche est de préserver les acquis de la révolution pour éviter tous les dérapages qui nous guettent, notre mission est aussi, elle est surtout, de faire la révolution en nous, dans nos réflexes ankylosés, dans les passions qui nous égarent, dans nos conduites inciviques, dans nos jugements à l'emporte-pièce, dans nos têtes, en somme ! Car il faut, comme on dit, commencer à balayer devant nos portes, exiger de nous-mêmes plus que des autres pour être les vrais citoyens de la Tunisie future. Celui qui brûle un feu parce qu'il n'y a plus de contrôle, celui qui ne paie pas son billet de transport et invite les autres à faire de même, sachant l'impunité garantie, celui qui jette des restes sur le trottoir ou les plages et ne les ramasse jamais sur son passage, celui qui vocifère des insultes à l'encontre d'un supérieur hiérarchique à qui il prodiguait la brosse à reluire sans modération la veille du 14 janvier, celui qui accourt, le lendemain de la révolution, pour détruire les pointeuses dans les administrations pour pouvoir s'absenter du boulot à son aise, celui qui profite de la crise d'autorité que traverse le pays pour bénéficier de la manne des vacances ouvertes, l'élève, aussi, qui demande le droit à la réussite avec le minimum de matières, le minimum d'effort et le minimum d'exigences et d'instruction sans se soucier de sa formation réelle et effective, les étudiants encore qui imposent le départ des professeurs dont les matières ou les notes ne sont pas à leur goût et qui obtiennent quelquefois gain de cause, tous ceux-là doivent savoir qu'aujourd'hui plus que jamais la Tunisie a besoin qu'on mette les bouchées doubles, qu'on reste travailler après l'heure, qu'on fasse du bénévolat, qu'on compte sur soi plus que sur les autres et cela dans le respect et la reconnaissance de la hiérarchie, des aînés et des maîtres. Si nous voulons mériter nos droits nous devons honorer nos devoirs au quotidien et nous dire que la révolution n'est pas un cadeau ou une manne que nous allons partager mais une discipline, une rigueur et une hygiène de vie à exiger et à généraliser pour être à la pointe du progrès. Car la démocratie n'est pas la médiocratie, la facilité et l'esprit assisté, elle n'est pas l'imposition de son avis juste parce qu'il s'oppose à celui de l'autorité en place, elle n'est pas non plus la bave langagière et l'intolérance vis-à-vis d'autrui, le nombrilisme, la haine affichée et les règlements de comptes. Il y a des tribunaux désormais indépendants pour juger les fautes, les crimes et les abus, tous les abus, même ceux de la lâcheté anonyme ou déclarée qui jette à la curée médiatique l'honneur des citoyens et des cadres qui sont souvent la fierté de la Tunisie ! La démocratie n'est pas la permissivité, le vol et le viol contre lesquels le peuple s'est révolté. Elle est exigence scientifique et morale, reconnaissance du mérite qui a tant été occulté au temps des bacs moins trois, elle est liberté de la parole dans le respect de l'autre, bref, un combat de tous les instants, une course contre la montre pour ne pas rater le train de la modernité. Aucune dictature n'aura raison de nous, ni celle d'un chef ni celle de la masse, ni celle d'une démagogie ou idéologie quelconque, aucune logique ne saura s'imposer à la société en dehors du cadre de la raison, de la rationalité, de l'esprit scientifique et de l'éthique, seuls terrains d'entente possible et universelle entre les hommes. Si nous voulons vivre ensemble, conformons-nous à la charte du respect et de la liberté des idées différentes dans l'oubli des tabous qui nous sclérosent et de la violence qui guette en chacun de nous.