Par Kacem ABDELKADER Opprimé par tant d'années d'humiliation et d'agissements dégradants, le peuple tunisien frustré semble vouloir dans sa majorité un traitement radical et sévère envers tous les responsables qui ont occasionné sa souffrance et abusé de leur pouvoir dans l'espoir d'éradiquer les malfaiteurs, assainir le pays des personnes corrompues, mettre fin aux abus, aux traitements partiaux et ouvrir une nouvelle ère pour un comportement général respectueux, juste et impartial en adéquation avec un Etat de droit et de justice. Dans l'approche de cette délicate question, nous essayons d'apporter une modeste contribution dans l'objectif d'éclairer le lecteur sur les différents scénarios possibles de traitement de ces types de questions moyennant l'étalage des conséquences qui peuvent en résulter. L'objectif final recherché à travers ce développement est en rapport avec l'intérêt de tous les Tunisiens, la sécurité du pays, la poursuite d'une activité soutenue, la préservation des emplois, le rétablissement de la justice et de la démocratie et surtout la réussite de la révolution et la préservation de ses nobles valeurs de droit et de solidarité. L'on devra d'abord préciser que, généralement, le comportement des subalternes est tributaire des directives de leurs responsables. On est, généralement, tenu d'appliquer les instructions de nos supérieurs quelle que soit leur teneur. Toute personne dérogeant à cette règle reçoit généralement en l'absence d'un Etat de droit et de justice un traitement préjudiciable au-delà de la perte de son emploi et des persécutions possibles pour le mettre hors d'état de nuire. C'est exactement ce qui s'est produit en Tunisie où certaines personnes compétentes, de bonnes intentions et de bonne moralité ont été induites du fait de l'influence du système au pouvoir au plus haut niveau à faire usage de traitements inappropriés. Si la jurisprudence ignore souvent les soubassements qui ont produit la faute, nous estimons que nous avons besoin de faire usage de compréhension et dans certains cas de pardon et de circonstances atténuantes compte tenu du fait du prince (loi de la jungle) qui a induit beaucoup de monde en erreur. Trois approches possibles : Nous pensons qu'il existe théoriquement trois scénarios de jugement possibles pour incriminer les personnes ayant causé des préjudices aux autres. Ces jugements peuvent être classés en trois catégories. Soit, un jugement sévère qui condamne le criminel par rapport à l'ampleur des fautes commises en dehors des circonstances atténuantes ayant occasionné ses fautes. Soit, un jugement laxiste qui ignore les fautes du criminel pour les imputer à un environnement extérieur dont il n'a pas le contrôle. Soit, un jugement équilibré qui intègre une responsabilité personnelle dans tous les cas où cette personne a commis des fautes sans l'incriminer sévèrement puisque cette personne a agi dans des circonstances particulières qui l'ont poussée à appliquer les directives reçues. L'approche sévère : Théoriquement le traitement juridique des personnes ayant commis des fautes à l'encontre des populations et des biens doit incriminer les responsables pour les conséquences induites du fait de leurs fautes. Toute personne ayant commis des erreurs est tenue de par la loi d'apporter les réparations qui s'imposent. Mais, cette approche sévère risque de condamner plusieurs personnes influentes à tous les niveaux et dans tous les domaines de la vie nationale, vu l'étendue de la corruption et des mauvais traitements, ce qui risque de nuire à la bonne marche des affaires ultérieurement, étant donné que ces personnes détiennent des responsabilités dans la majorité des plus grosses affaires du pays, pour se répercuter sur le bien-être de l'ensemble des populations et nuire à l'emploi des jeunes. Il nous semble, donc, que cette approche pourrait ne pas être la meilleure. En effet, cette approche risque de handicaper l'économie nationale et décourager plusieurs compétences qui ont été induites en erreur et forcer à agir au gré des plus hautes autorités du pays et de leurs proches. Nous jugeons qu'il y va de l'intérêt du pays et des populations et que, par conséquent, on ne doit pas bloquer les affaires pour favoriser la bonne marche économique et sociale. L'approche laxiste : Une deuxième approche que nous appelons laxiste consisterait à relâcher les présumés responsables après un jugement formel pour imputer l'erreur au système et à l'environnement du pouvoir prévalant à l'époque. Cela reviendrait à reconnaître que ces personnes n'étaient pas responsables et n'ayant pas commis de fautes directes, mais ayant tout simplement appliqué des instructions émanant de la haute hiérarchie. Cette approche nous semble inadéquate et dangereuse car elle ne juge personne en fait, du moment que le plus grand fautif est en fuite, malgré des faits et des fautes certaines. Cela revient à insulter le peuple qui attend un jugement adéquat à la dimension de la révolution et des préjudices subis. Elle aurait encore l'inconvénient d'encourager les fautifs dans l'erreur et donc à poursuivre les pratiques mafieuses qui ont prévalu avant la révolution. Il nous semble également que cette approche n'est pas appropriée. L'approche équilibrée : Etant donné que les deux précédentes approches ne semblent pas convenir au cas tunisien, une troisième approche que nous appelons équilibrée semble être la mieux adaptée. Concrètement, celle-ci doit tenir compte de l'ensemble des faits et actes des personnes en question, de leur compétence, de leur moralité, des intérêts qu'ils sont en mesure de produire encore pour le pays, de la dimension de leurs apports antérieurs, de leur dimension sociale, des conséquences qui peuvent résulter de l'un des jugements précités (sévère ou laxiste) sur le plan économique, social, juridique, sécuritaire, etc. Moyennant la prise en compte des répercussions de tous ces éléments sur l'ensemble de la nation tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. L'ensemble de ces facteurs doit être étudié, pas seulement en fonction du contexte juridique, mais aussi en rapport avec la dimension sociale et économique des personnes et des responsabilités réelles dont elles avaient la charge et surtout des influences incontestables des hautes autorités de l'époque prévalant avant la révolution et du contexte d'ensemble du pays en rapport avec la démocratie, la justice, les libertés, etc. Nous pensons qu'une telle approche aussi bien juste, compréhensive que tolérante est de nature à préserver les intérêts du pays et des populations pour la poursuite des affaires et la préservation de la sécurité et des emplois. Cela aurait encore l'avantage de souder la solidarité d'ensemble du pays pour profiter de nouveau et encore de l'ensemble de ses compétences et de leurs moyens financiers. Nous estimons que le contexte d'ensemble prévalant avant la révolution avec toutes ses composantes, historique, libérale, culturelle, sociale, sécuritaire, etc. a conduit le pays avec toutes ses compétences à poursuivre dans l'erreur étant persuadé qu'il n'y a pas d'autre voies en dehors du respect des instructions de la plus haute autorité du pays. Maintenant que les choses ont changé, nous pensons qu'il faut ouvrir une page historique, toute nouvelle, pour notre pays moyennant des procès réfléchis, humainement justes et juridiquement équilibrés pour éviter des complications préjudiciables à l'ensemble de la nation. En résumé : En somme, nous avons développé notre point de vue sur la question du jugement des personnes présumées fautives pour avoir causé des préjudices aux populations et la manière de les poursuivre juridiquement et des conséquences qui pourraient en résulter du fait de la nature du jugement attendu et des considérations économiques et sociales que la personne en question est en mesure d'apporter à la population. Nous pensons que ce dernier jugement est de nature à préserver les intérêts de la nation sans trop nuire à la personne en charge compte tenu des circonstances atténuantes en rapport avec le contexte historique, libéral, juridique, social, etc. du pays. Dans tous les cas de figure, et en dehors des personnes hautement impliquées ou ayant pris des mesures impardonnables contre les populations, il nous semble convenable de tenir compte de l'approche équilibrée moyennant une restitution de toutes les richesses spoliées au peuple et une réparation adéquate aux personnes abusées. En fait, nous pensons que le redressement des comportements de toute la société et en premier des responsables en charge des postes importants est tributaire de l'image perçue de leur gouvernement, de son approche dans le traitement des dossiers, de l'application du droit et de la perception de la justice. En effet, des comportements, au sommet, aussi bien exemplaires, moraux et responsables, conformes au droit et aux règlements sont de nature à guider le peuple dans son ensemble dans la même direction pour rejaillir sur ses institutions et l'ensemble des secteurs tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Nous pensons, en définitive, qu'une approche équilibrée telle que développée précédemment est de nature à corriger tous les abus des responsables quelles que soient leurs convictions, même ceux parmi les plus corrompus, pour épouser dorénavant les nouvelles orientations de la révolution et tenir un comportement exemplaire, dénué de tout reproche, à toutes les situations. En effet, le dernier arbitre à tous ces reproches reste le peuple qui désormais, averti et bien éduqué, ne se fera plus avoir en réclamant son droit de regard , de surveillance et de dénonciation à côté des institutions indépendantes de contrôle et de supervision qui doivent bénéficier d'un droit de vérification sur les comptes de la nation. Nous jugeons, à l'inverse, qu'une approche sévère risque de beaucoup nuire aux intérêts des personnes influentes impliquées et à leur environnement humain, ce qui pourrait se traduire par des actes de vengeance préjudiciables aux intérêts économiques, sociaux et sécuritaires de la nation.