Ce qui importe le plus en politique, c'est la visibilité. Elémentaire, mon cher Watson. Pas si évident, à bien y voir du côté de notre place politique nationale. Et ce n'est point exagéré. La Révolution a libéré les initiatives et nous assistons à une véritable effervescence partisane. Pour certains, c'est on ne peut plus salutaire. Aux lendemains immédiats de toute révolution, les nouveaux partis politiques foisonnent. Pour d'autres, cela n'exclut point les pseudo-initiatives fantasques et fantaisistes. Certes, au Portugal, en Espagne, en Grèce ou ailleurs, la chute des dictatures a considérablement augmenté le nombre des partis politiques. On en a créé des centaines en un laps de temps très court. Puis cela s'est décanté au fil des jours, des échéances électorales et de la gestion quotidienne. Si bien qu'un peu partout, le nombre des partis politiques s'est réduit comme peau de chagrin. Chez nous aussi, les observateurs escomptent un tel processus. La place politique nationale ne tolère pas les dizaines et dizaines de partis annoncés. Jusqu'ici, cinquante et un d'entre eux ont obtenu leur visa. Des dizaines d'autres demeurent en instance. Certes, pris au cas par cas, les partis politiques nationaux ne le voient pas de cet œil. Chacun d'eux aspire à l'hégémonie. Et c'est de bonne guerre pour ainsi dire. En fait, un peu partout dans le monde, les partis politiques constituent l'ossature des régimes démocratiques. Il arrive parfois que les indépendants y jouent des premiers violons. Mais leur succès même les absorbe en quelque sorte, puisqu'ils finissent eux-mêmes par s'étiqueter. Donc de se décliner sous une forme partisane. Chez nous, l'instance partisane se cherche encore une identité définitive, clairement identifiable. Jusqu'ici, les différentes formations peuvent être désignées sous une dizaine d'étiquettes générales. Entre les centristes, les islamistes, la gauche, les libéraux, les nationalistes, les écologistes, l'extrême gauche et les non-identifiables, le commun des mortels ne s'y retrouve plus. Pis, sous la même chapelle, on doit composer avec les ultras, les tièdes et les pragmatiques. Autant de nuances qui devraient autoriser différents positionnements et colorations spécifiques. L'usage du conditionnel est en fait requis. Deux considérations fondamentales y président : en premier lieu, la majeure partie des partis politiques tunisiens disent partager les mêmes valeurs. Leurs programmes respectifs se recoupent le plus souvent. Ils disent privilégier la démocratie, les droits de l'Homme, les jeunes, les femmes, la lutte contre le chômage et la promotion de l'équilibre régional. Certains insistent plus sur l'éducation, d'autres sur l'écologie ou le développement durable. Mais les agendas des uns et des autres se superposent, du moins à l'échelle de l'énoncé. Dès lors, on est en droit de s'interroger sinon sur l'inconsistance des programmes des uns ou des autres, du moins sur la véracité de leur credo. En second lieu, hormis quelques personnes rompues aux arcanes de la politique, nous constatons l'absence de politiciens professionnels sur notre place politique. Selon Guy Carcassonne, professeur de droit public à l'université Paris-X-Nanterre, "la politique est un métier. Un peu particulier, certes, puisqu'il consiste à travailler au bien commun, à gérer le pays ou l'une de ses collectivités, à inventer et construire son avenir. Mais c'est un métier qui suppose, pour y réussir, formation, compétence, expérience, ténacité. Il n'est donc guère surprenant que la politique soit exercée par des professionnels, que ceux-ci en tirent leur revenu…" (La politique en France, éd. Larousse, Paris, 2004). On est bien loin du topo chez nous. Sans doute les partis politiques, autant que les professionnels de la politique, se cherchent-ils encore sous nos cieux. Cependant, un examen attentif de la place politique démontre les incuries et déficits dont elle pâtit en la matière. C'est une question d'apprentissage. Oui, certainement. Mais cela suppose auparavant bien des désapprentissages de certains mauvais plis.