Bien que la naissance de la Bourse de Tunis remonte à 1969, celle-ci demeure à l'état relativement embryonnaire, et son rôle est donc demeuré, depuis plus de quarante ans, assez limité. Lorsque l'on connaît l'importance que représente le rôle d'une place financière dans l'activité économique d'un pays, aujourd'hui plus qu'hier, on ne peut que lancer un cri d'alarme. En effet, le rôle, le maintien, le développement d'une place financière constituent un enjeu d'une grande importance. Rappelons que la finance n'est en soi bonne ou mauvaise. Elle sera ce que nous en ferons, si elle est chez nous. Elle sera ce que le reste du monde en fera si nous nous tenons à l'écart. En règle générale, les acteurs économiques ont toujours besoin de l'industrie financière. C'est elle qui assure la rémunération de l'épargne et le financement des entreprises. Les entreprises ont toujours besoin d'une place de proximité qui les aide à mettre en œuvre leurs projets et à assurer leur développement international. L'industrie financière répond, également, et dans une part croissante, aux besoins financiers de l'Etat et des collectivités locales. Méfions-nous des apparences; il ne suffit pas d'avoir un bâtiment ultramoderne pour être dynamique et développé. C'est le constat qu'on peut faire à la bourse de Tunis qui n'a toujours pas réussi à émerger. On peut mesurer le retard de développement de la bourse tunisienne en termes de progression de la taille du marché. En 1995, la capitalisation boursière représentait environ la moitié de celle du Maroc et de l'Egypte. Sur les trois dernières années, cette part était passée à 1/8 de la capitalisation de la place de Casablanca et 1/10 de celle du Caire. Ce recul traduit non pas la surperformance de l'Egypte ou du Maroc mais reflète bien le retard de la place de Tunis. Malgré la progression du marché tunisien, son importance dans l'économie reste faible, lorsqu'on la compare à la situation des pays émergents. En effet, le rapport entre la capitalisation de la Bourse et le PIB de la Tunisie (24 % en 2010) reste bien en-dessous de celui du Maroc et de l'Egypte environ 70 % et 50 % respectivement. En 1995, les statistiques montrent que la capitalisation boursière de notre bourse rapportée au PIB dépassait ou du moins avait presque le même niveau que bon nombre de pays émergents (les capitalisations boursières étaient de l'ordre de 22% du PIB en Tunisie, 13% en Egypte, 18% au Maroc et 22% au Pérou). Cependant sur les trois dernières années, la place de Tunis aurait accumulé un grand retard en ayant une des plus faibles capitalisations boursières (les places du Caire, de Casablanca et la bourse de Lima avaient atteint respectivement en 2007, avant la crise financière, une capitalisation boursière de 107%, 100% et 99% alors que la place de Tunis n'avait atteint que 15% en 2007). La surcapitalisation des ces économies par rapport à la nôtre ne s'explique d'ailleurs pas par l'existence d'une bulle spéculative, et donc d'une surévaluation des entreprises, puisque les rapports entre les cours et les bénéfices par action (PER) sont, depuis quelques années, sensiblement équivalents entre les différents pays concernés. Pourquoi alors notre appareil financier n'a-t-il jamais décollé ? … plusieurs raisons Le retard accumulé par la bourse de Tunis peut s'expliquer essentiellement par deux phénomènes: d'abord, le manque de culture financière dans notre pays et la dépendance traditionnelle d'un financement bancaire aisé ont empêché le développement de notre bourse. En effet, plus de 30 % de l'investissement privé est financé par des crédits bancaires, à des conditions relativement favorables, et souvent dans un contexte de faibles pratiques d'évaluation du risque. Ensuite, la structure du secteur privé national est dominée par des PME, souvent familiales, qui sont réticentes à partager la propriété et le contrôle et à avoir recours au financement par émission d'actions, ce qui implique des exigences beaucoup plus importantes par rapport au financement bancaire qui demeure la source essentielle de financement. En effet, la désintermédiation du financement des entreprises ne fonctionne toujours pas. Cette situation réduit de manière drastique la possibilité d'avoir une capitalisation boursière plus importante à travers une augmentation accrue du nombre et du volume des titres cotés, mobilisant l'épargne nationale et étrangère. Cet état de fait nous amène à avancer qu'aujourd'hui, la Tunisie a davantage de faiblesses que d'atouts dans le domaine financier. Face à ce retard, la place de Tunis doit se doter d'un ambitieux programme d'actions pour faire de la bourse de Tunis un pôle attractif dans une planète financière en perpétuelle évolution, parce qu'au final, une économie ne peut être compétitive sans une place financière attractive. L'une des pistes de réflexion est de modifier les schémas de financement des entreprises et projets, afin d'augmenter le nombre des entreprises cotées. Ainsi, au lieu de dépendre des prêts bancaires au risque d'un endettement excessif, nos entreprises devraient être encouragées à rechercher du financement en fonds propres et capital-risque. Sous un autre angle, on pourrait, également, réfléchir à la création d'un pôle de recherche en finance qui constitue un élément déterminant pour le développement de notre place financière. Doté de moyens significatifs publics et privés, ce pôle devrait fédérer les expertises sur trois thématiques qui nous semblent fondamentales : les mathématiques financières, les produits dérivés, les instruments structurés. Mais il faudra aller plus loin. Nous espérons que rapidement, la gestion alternative trouvera toute sa place à Tunis. Et surtout que les pouvoirs publics et les acteurs financiers s'associent pour faire de Tunis un pôle de compétitivité en matière financière.