La spoliation des terres domaniales et des propriétés privées ne suffisaient pas aux gloutons du régime déchu. Ainsi, la mafia du clan Ben Ali-Trabelsi imposait aussi son diktat au domaine maritime et à ses acteurs. Sans rougir, le gendre pieux Sakher El Materi a fait main basse sur l'activité croisière à La Goulette, alors que le tonitruant Imed Trabelsi, qui s'intéressait surtout au vol des yachts, a jeté son dévolu sur la Compagnie tunisienne de navigation (CTN) en réquisitionnant le car-ferry Habib pour des traversées sur la ligne Sfax-Tripoli. Un autre larron, Mourad Trabelsi, lui, a préféré le pillage des fonds marins tunisiens. Doté d'une flottille de pêche composée de 18 chalutiers, il avait le vent en poupe pour vite s'enrichir, non seulement de la pêche illicite, mais aussi par le monopole de la pêche au thon rouge, une espèce menacée. Pépinières dépouillées, côtes saccagées, textes de loi violés, ses chalutiers dotés de moyens ultrasophistiqués, notamment des GPS, des boussoles et des combinaisons de plongée favorisaient le pillage des ressources halieutiques tunisiennes en toute impunité. Alors que pour ce genre d'infraction, normalement l'armateur est privé de la subvention sur le prix du gasoil comme premier avertissement, l'armateur proche de la famille et ses associés bénéficiaient d'une protection «divine». Même en cas de récidive où la loi stipule qu'à la troisième infraction, l'armateur doit être sanctionné par le retrait provisoire de son permis de pêche, Mourad Trabelsi reste au-dessus des lois. Face à un tel favoritisme, la grogne a gagné les autres armateurs et pêcheurs d'une flotte nationale qui se compose de 426 chalutiers, 444 de pêche pélagique et thon ( dont 50 thonniers) et de près de 10.000 barques de pêche côtière, dont les opérateurs, déjà fragilisés par une activité à haut risque, peinent à tirer leur épingle du jeu. Par contre, pour les armateurs et les pêcheurs dont les frêles épaules ne pouvaient supporter un tel fardeau, les dégâts se sont vite fait ressentir. En effet, sur fond de raréfaction des ressources halieutiques, de mauvais temps et d'augmentation du prix du gasoil, la course aux poissons tourne selon les pêcheurs à une vraie guerre pour la survie, où seuls les seigneurs des mers pouvaient mener le jeu à leur guise. Dans une conjoncture, déjà défavorable, où le problème numéro un demeure la météo qui réduit de plus en plus le nombre de jours de pêche par an, gros armateurs ou petits côtiers crient au secours. Tel cet armateur actif dans la pêche au thon rouge qui s'insurge sur une situation qui perdure, malgré l'avènement de la révolution. Ainsi, dans une lettre adressée aux médias, la société Horchani Pêches, du groupe tunisien Horchani, venait de briser la loi du silence qui était imposée aux gens de la mer. On y apprend non seulement le favoritisme à l'égard de ces clans, mais aussi elle y dénonce le maintien des pratiques anciennes, encore de mise actuellement, selon elle. En effet, on y lit aussi que «les professionnels de la pêche au thon rouge s'attendaient, après la révolution populaire tunisienne et le départ des tyrans, à une nouvelle politique de distribution des quotas basée sur l'équité et la transparence.» Sauf qu'après plus de trois mois qu'on croyait l'administration tunisienne libérée de l'influence de la famille mafieuse qui régnait, les services du ministère de l'Agriculture n'arrivent pas encore à statuer sur le dossier tant épineux de la pêche au thon rouge, soumise à une réglementation de quotas instituée par la Commission internationale de conservation des thonidés en Atlantique « Iccat ». Revenant sur un communiqué rendu public par une commission répartissant le quota alloué à la Tunisie aux différents armateurs et intervenants du secteur, l'auteur de ces lignes souligne «la surprise, le mécontentement et le sentiment d'inégalité ont touché la majorité de ces professionnels à l'annonce de ce communiqué». En effet, «malgré les instructions données par le ministre de l'Agriculture et de l'Environnement du gouvernement transitoire et ses appels renouvelés à une autocorrection, une rupture avec le favoritisme, la fin de la corruption et autres manipulations de l'ancien régime et l'instauration d'une nouvelle vision au dossier, axée sur des critères professionnels où l'égalité et la parité seraient la règle, la répartition dudit quota a fait apparaître la distribution d'une importante partie (139 tonnes sur un quota total de 860 tonnes, soit 17% environ), en complément supplémentaire, à des amis proches et associés du gendre du président déchu, à savoir Mourad Trabelsi», poursuit la lettre qui rappelle que ce dernier avait une mainmise sur le secteur. Ce n'est plus un secret de polichinelle : l'exportation du thon est depuis quelques années devenue monopole personnel de Mourad Trabelsi qui est également le seul individu autorisé en Tunisie à en faire l'élevage et à l'exporter. Le même Mourad a obtenu, par le biais d'un Italien prête-nom, le monopole de la pêche au Lac de Tunis, sous forme de concession avec, en contrepartie, le simple nettoyage des algues du Lac. Depuis, la pêche à la ligne sur les berges du Lac de Tunis est réprimée par la loi, privant ainsi des centaines de Tunisiens d'un loisir simple qu'ils pratiquaient depuis des années sans soucis. Plus de détails sur les seigneurs de la mer dans notre dossier.