Son nom de famille n'échappe à personne du domaine du cinéma. Habib Attia fils de… ne lui colle plus tellement à la peau. Il fait partie de cette nouvelle génération de producteurs qui en veulent et qui font des films. Avec Mourad Ben Cheikh, il signe le premier film documentaire qui passe les barricades de Cannes ( en sélection officielle). Habib Attia n'a pas eu peur…plus raison d'avoir peur ! Entretien La passion du cinéma remonte à votre enfance, mais comment êtes-vous arrivé à en faire votre métier ? «J'ai baigné dans le cinéma depuis mon enfance de par mes parents, entre un père, le producteur Ahmed Bahaeddine Attia qui a fait du cinéma sa vie et une mère, Nadia Attia, de l'autre côté de la barricade à la direction du cinéma. Et bien que mon enfance me prédestinait à suivre le chemin de mes parents, j'ai pris une orientation toute autre. Le choix de faire des études de polytechnique venait d'un désir de m'éloigner du côté improbable du cinéma et de son instabilité. C'était en fait un choix guidé par un désir de sécurité et de suivre un cursus classique, optant pour la prudence. C'était tout simplement ce que mes parents voulaient de mieux pour moi. Le parcours était ordinaire. J'ai passé dix ans à Milan à étudier et puis à travailler dans mon domaine jusqu'à 2002, tout en suivant tout ce qui se faisait au cinéma, en assistant à des festivals quand l'occasion se présentait. En 2002, vous avez décidé de rentrer au pays. Pourquoi ? Avec ma femme, on a décidé de rentrer au pays, convaincus que la Tunisie allait nous offrir le meilleur. C'est là que Sid' Ahmed, mon père, est revenu à la charge pour que je travaille avec lui. J'avoue qu'il ne lui a pas fallu beaucoup d'énergie pour me convaincre. J'ai débarqué alors à Cinétéléfilm, sur le projet "euro média toon" qui est un grand projet avec tout ce qu'il impliquait comme formation, gestion et introduction de nouvelles techniques. Ma formation et mon expérience professionnelle en tant que polytechnicien m'ont été utiles pour diriger le département financier. Comment s'est fait alors le passage vers la production et quelles étaient vos nouvelles orientations pour la boîte ? De 2002 jusqu'à 2006, Cinétéléfilm s'est consacrée essentiellement aux cartoons. Certes, c'était une aventure passionnante, mais sur le plan financier, ce fut un véritable gouffre. En même temps, c'était un projet qui a éloigné la boîte de sa vocation première qui est la production de films. Avec la maladie de Sid Ahmed, j'ai dû prendre les choses en main, opter pour de nouvelles stratégies. En 2007, avec le départ de Sid'Ahmed, j'ai pris la gérance et j'ai changé radicalement de cap avec la reprise de la production de films de fiction et de documentaires, un retour vers la prise de vue sur le réel avec des thématiques socioculturelles. J'ai produit des films proches de notre réalité, des films qui me passionnent et que je n'aurai pas de mal à défendre et à en expliquer mes motivations, auprès des bailleurs de fonds. En fait, c'était un retour vers la première vocation de Cinétéléfilm, cette société de production créée en 1983 spécialement pour produire le premier film de Nouri Bouzid L'homme de cendres. Votre premier film fut tout de même un film palestinien. Pourquoi ce choix ? Ce choix n'a rien à voir avec le fait que c'est un film palestinien ou pas. L'anniversaire de Leïla de Rachid Machahrawi n'est pas un choix guidé par un quelconque calcul. C'était juste un coup de foudre cinématographique: le scénario m'a intéressé tout simplement. Et heureusement, ce film a rencontré un beau succès qui a fait 120 festivals et qui a été distribué dans 20 pays. Après Plus jamais peur de Mourad Ben Cheikh, quels sont vos projets ? Aujourd'hui, Cinétéléfilm a produit une quarantaine de films ,entre docs télé, cinéma et courts métrages. On s'apprête à produire un long métrage de Kaouther ben H'nia ainsi que deux documentaires de Semi Telili et de Hend Boujemâa Plus jamais peur, racontez-nous cette aventure? Plus jamais peur de Mourad Ben Cheikh est né comme tant d'autres films sur la révolution d'un devoir de documentation. Petit à petit, on a pris conscience qu'il fallait faire un documentaire différent des reportages qu'on voyait sur les chaînes d'infos. Le film s'est tourné plus vers le côté humain des personnages et a essayé de relater l'intimité de ces trois personnages qui ne se connaissent pas et qu'on ne cesse de croiser sur les différentes scènes de la révolution. Le film traite aussi d'une problématique centrale, celle de la peur portée par un personnage en thérapie qui incarne le mal qui a sévi durant des années, la dépression qui touche chacun de nous. Ce film, vous en êtes spécialement fier ? Bien sûr, d'abord c'est mon premier long métrage tunisien. Le film a reçu une première reconnaissance, au festival de Cannes avec plus de 12 minutes d'ovation. C'était très important pour nous de porter notre quotidien à l'écran, ces instants de vie… et quels moments ! Ensuite, il y a sa prochaine sortie en France dans 20 salles, au minimum. De plus, il y a plusieurs participations dans des festivals de renommée tels que Le Doha, Buenos Aires, Sheffield (en sélection officielle), Londres et, bien sûr, le festival de Taormina, en attendant le reste… A votre avis, que va apporter la révolution à la création artistique et au cinéma ? Théoriquement et pour la création, il ne peut y avoir que des avantages. Le premier et le plus important est la disparition de la censure qui a engendré un mal encore plus pernicieux qu'est l'autocensure. Le créateur tunisien, aujourd'hui, ne peut pas prétendre souffrir de la censure, bien que nous soyons tous conscients que ça ne va pas disparaître du jour au lendemain, sauf qu'actuellement, on se doit de la combattre là où elle se manifeste. Cette censure qui a, durant des décennies, fait que nos films ne nous ressemblaient pas. Avec la liberté d'expression, on devrait assister à un pluralisme de thématiques et à une nouvelle énergie libératrice, libre et créative. Pratiquement, que faut-il faire pour sortir le cinéma de sa crise ? Il va falloir qu'on se relève rapidement. Il y a des priorités clairement identifiées qui commencent par une évidence. Le cinéma et l'audiovisuel doivent obligatoirement être indépendants de la politique et du politique, surtout qu'on ne sait pas où on va politiquement. C'est pour cela que l'art, quel qu'il soit, doit être notre garde-fous. Il faut accélérer la création du CNC (Centre national du cinéma) qui doit être doté d'une autonomie financière et décisionnelle et gérée par des professionnels pour la promotion de notre cinéma, côté production, exploitation et distribution. Il devra assurer le financement public et privé du cinéma et de l'audiovisuel et s'assurer de sa bonne gestion et de l'indépendance de ses commissions. Parmi les urgences, résoudre une fois pour toutes le problème du marché, avec l'encouragement de l'implantation de multiplexes, avec une politique claire et clairvoyante. Heureusement, le ministère de tutelle, suite à plusieurs réunions, semble convaincu et conscient de l'urgence de restructurer le secteur. Justement, la création de multiplexes soulève beaucoup de résistance… A mon avis, la frilosité de certains responsables et des professionnels n'est pas justifiée. Ces derniers avancent que le marché sera inondé de films commerciaux, que le film tunisien ne trouvera pas sa place et que ces multiplexes menaceront l'existence des petites salles. Alors que c'est tout à fait le contraire. Le film tunisien trouvera toujours sa place de choix, puisqu'il est prouvé par les statistiques que le public tunisien est demandeur de notre production. En même temps, ces multinationales de la distribution viendront avec leurs films qui seront visibles aussi bien dans les multiplexes que dans les petites salles et qui bénéficieront des campagnes de promotion de la publicité et tout ce qui suit.