Par Abdelhamid Gmati Dans la cacophonie qui s'est emparée de notre pays depuis le début de la révolution, on n'entend pas la voix des femmes ; ou si peu. Pourtant, elles étaient là, dès le début de cette révolution et elles ont payé cher cette participation effective. Elles étaient de tous les fronts, de toutes les manifestations, hurlant leur révolte, leur ras-le-bol, leurs espoirs. Elles ont exprimé leur attachement à la démocratie de différentes façons, entre autres, en manifestant trois jours de suite les 28, 29, et 30 janvier, pour dire leur opposition aux crédos des islamistes, uniquement préoccupés par le Code du statut personnel qu'ils veulent éliminer. Avant, durant la tyrannie, elles étaient présentes aux premières loges, et actives dans les syndicats, les associations, les partis politiques et elles exprimaient avec force et conviction leur refus de la dictature. Et elles le payaient cher, qu'elles soient en Tunisie ou en exil. La police politique s'en donnait à cœur joie avec elles, les brutalisant, les violant, les accusant de toutes les dépravations. Et pourtant, où sont-elles? Dans les premiers jours, on les a entendues un peu dans les médias, qui les invitaient à s'exprimer, presse écrite, radio ou télé. Elles intervenaient dans des débats ou acceptaient des interviews. Et elles donnaient leurs avis, parfois pertinents, souvent originaux, parfois intéressants, parfois complaisants, ou quelconques. Exactement comme les invités masculins, nombreux mais rarement pertinents. Et au fil des jours, on ne les entend plus ou très rarement. A qui la faute ? Il serait fastidieux de rappeler ici les acquis de la femme tunisienne, tout le monde (même à l'étranger) les connaît: CSP, interdiction de la polygamie, droit au divorce civil, droit de vote, droit à l'avortement, droit à choisir son cheminement personnel, y compris matrimonial, et, tout dernièrement, parité aux élections. Bien sûr, sur le plan légal, certaines choses restent à faire, entre autres les droits de succession (héritage). Certes, les hommes tunisiens s'accommodent de ces droits des femmes et ne les remettent pas en question (à part les islamistes, ceux d'Ennahdha et les autres qui n'ont d'autres programmes que rétablir la polygamie, remettre les femmes au foyer en les voilant et multiplier les interdits). Ils en sont même fiers et ne ratent aucune occasion de les énumérer. Il faut reconnaître que la femme a souvent servi d'alibi, de paravent, notamment à la dictature. En réalité, c'est différent. Combien y a-t-il, ou y a-t-il eu de femmes ministres ? Certes, nous avons compté plus de femmes députées que la France, par exemple. Mais quel poids avaient-elles ? Combien de femmes chefs de partis politiques avons-nous, dans cette multitude de nouveaux partis ? Une des rares, par ailleurs brillante dans ses rares interventions, n'est que rarement sollicitée, le choix portant surtout sur son prédécesseur. Quand certaines femmes revendiquent leur droit à participer et à être présentes en nombre et en aspirations dans les organismes politiques et de décisions, on leur répond «on verra plus tard… ça n'est pas le moment» (témoignage de Mme Neïla Jrad). Et cette parité, quelle substance a-t-elle? Combien y a-t-il de femmes susceptibles de s'intéresser à la politique pour se porter candidates aux prochaines élections ? Des projets sont élaborés, des actions sont préconisées pour amener les partis politiques à pratiquer la parité hommes-femmes dans leurs listes de candidats et en mettant des femmes têtes de liste; des associations comme l'Association Egalité et Parité qui a lancé le projet 1.000 profils de femmes pour la candidature à l'Assemblée constituante. «Femmes de toutes les régions de la Tunisie, si vous croyez en la liberté, la démocratie, l'égalité totale entre les femmes et les hommes, si vous êtes pour les valeurs de la république, empressez-vous d'envoyer votre demande et votre CV avec photos». Quel en sera le résultat ? D'un autre côté, on doit reconnaître que dans la réalité quotidienne de notre société, ce sont les femmes qui transmettent les traditions. Quel que soit leur niveau scolaire, quelle que soit leur modernité. Un jeune couple qui veut convoler en justes noces devra se plier aux traditions, maman l'exige. Dernièrement, un ami devait recevoir les parents d'un jeune homme, venant demander la main de sa fille. Une quinzaine de personnes. Des hommes et des femmes, en jupe ou voilées. Contrairement aux usages, et à l'avis de sa femme, il refuse de séparer les hommes des femmes : tous sont assis côte à côte. La chaleur étant, et voyant que ses visiteurs sont incommodés, il leur suggère d'aller s'installer dans le jardin où il fait plus frais. Les hommes sortent et s'installent mais les femmes restent dans le salon, malgré son invitation à se déplacer. Au bout d'un certain temps, il les entend parler et rire alors qu'auparavant, en présence des hommes, elles ne disaient rien. Son épouse lui expliqua plus tard : «C'est normal, elles se sont senties plus à l'aise entre femmes». La révolution politique et sociale, les droits des femmes, les lois, le Code du statut personnel, c'est énorme et bien beau. Mais il faudrait aussi penser à une révolution des mentalités. Pas seulement celles des hommes et des intégristes, mais aussi celles des femmes.