Ce petit appartement enfoui dans un banal immeuble à El Manar fourmille de créativité. Des jeunes en tenues décontractées, les cheveux en bataille, des écouteurs aux oreilles n'ont d'attention que pour leurs écrans d'ordinateurs où des personnages étranges évoluent dans des jardins féeriques, des souks orientaux, des palais des Mille et une Nuits et des ambiances typiquement tunisiennes, un café à Sidi Bou Saïd, la mosquée de Kairouan, le fort de Monastir… Entre filles et garçons, ils sont vingt-deux, tous des surdoués de l'informatique, à se pencher sur la conception et la réalisation du premier long métrage tunisien d'animation en 3D : «Les aventures de Dalila la rusée». Le chef d'orchestre de cette pépinière de talents n'est autre que Taïeb Jallouli, décorateur, réalisateur et producteur (Omnia Production). Premier Tunisien à avoir été nominé aux Césars en l'an 2000 pour les décors du film «Peut-être» de Cédric Klapish, on lui doit des univers parfois de rêve, parfois hyperréalistes, planant dans des films comme «Le Patient Anglais», d'Anthony Minghella, «Pirates», de Roman Polanski, «Hors-la-loi», de Rachid Bouchareb, «Halfaouine», de Férid Boughedir, «Siestes Grenadines», de Mahmoud Ben Mahmoud. La conception du film en 3D démarra l'hiver 2008. L'idée avait déjà germé dans l'esprit du fondateur d'Omnia Production à la suite de son travail sur Starwars de Georges Lucas, premier film à gros budget, usant d'images de synthèse et allant jusqu'à inventer des personnages virtuels. Taieb Jallouli y a perçu l'impact énorme que jouera le numérique dans le cinéma de demain. «Il s'agit d'une autre manière de faire du cinéma. C'est encore du cinéma. L'unique limite s'arrête au bout de l'imaginaire du réalisateur, comme dit Lucas. «Avec mon équipe, je suis en train d'installer en Tunisie les premiers jalons de ce créneau, qui a beaucoup élargi les possibilités de la fiction dans le monde. Aujourd'hui toutes les voitures qui se carambolent ou les bâtiments qui explosent dans les films sont le fruit de manipulations informatiques. Le cinéma tunisien n'a plus d'excuses pour explorer de nouveaux horizons», confie, le sourire accroché aux lèvres et toujours aussi amène, Taïeb Jallouli. Yes We Can ! L'homme a pourtant dû s'endetter jusqu'au cou pour poursuivre l'aventure. Certes il a reçu de la part du ministère de la Culture une subvention de 500.000D. Mais, soutient-il : «Cette somme pourrait bien financer une œuvre du cinéma conventionnel et non pas exceptionnel comme le projet que nous menons depuis près de trois ans. C'est dommage de sombrer en milieu de route, d'autant plus que nous avons si bien avancé et que nous détenons là un produit facile à distribuer au niveau des télévisions. Nous avons besoin aujourd'hui de 250.000 DT pour finir ce projet». Taïeb Jallouli cache mal sa détresse. Malgré le «Yes We Can», affiché en gros dans le couloir de l'appartement, le réalisateur-producteur craint que cette belle jeunesse, tellement pleine de génie, d'énergie et capable d'augurer un nouveau créneau porteur d'emploi et d'intelligence high-tech ne connaisse, à long terme une baisse de motivation. Au pire : ne parte ailleurs, vers d'autres cieux dans des studios européens et américains avides de telles compétences en images d synthèse. «Les Aventures de Dalila la rusée» mérite beaucoup plus d'attention et de soutien», soutient T. Jallouli. Pourquoi le film a-t-il pris tout ce temps ? «Il a fallu tout d'abord explique Maher Daâloul, le coordinateur principal des vingt animateurs et développeurs, former une partie de l'équipe, des ressortissants de l'Isam et des écoles des Beaux-arts tunisiennes dans le traitement des images en 2D puis en 3D. A chaque fois qu'un problème s'est posé: donner vie aux cheveux, travailler les ombres, faire frémir les feuillages, animer les personnages, nous l'avons résolu dans le cadre de notre studio. Nous avons évolué sur ce film en nous perfectionnant nous-mêmes dans les techniques en 3D. Ce qui ne nous a pas empêchés de mettre la barre très haut et de travailler en nous référant à la qualité d'œuvres aussi abouties que «Shrek», «L'âge de glace», «Le monde de Némo», «Ratatouille»…» «Les aventures de Dalila la rusée», est un conte très librement adapté des Mille et Une Nuits. Dalila la rusée, veuve d'un haut fonctionnaire de l'empire, possède une robe de lumière, qui procure bonheur et fortune. Mais voilà que des bandits lui volent cet objet de désir et le cèdent à Chakroun, un puissant sorcier. Le jour même, elle perd sa fille, Kenza âgée de deux ans. Le film de 80 mn est une quête de la robe et de la petite fille. Comme tous les contes de fées, l'histoire s'achève sur une note heureuse : retrouvailles, succès et félicité. Espérons que la fin de la conception de ce film connaisse le même destin…