Par Soufiane BEN FARHAT Les politiques ont la manie de débiter les sacs à mots dans la démesure. Et leurs professions de foi, si généreuses soient-elles, ne se vérifient pas, le plus souvent, à l'épreuve des faits. On ne peut s'empêcher d'y penser par moments. Et le Parti radical italien non-violent transnational et transparti en a administré la preuve, vendredi à Tunis. Ainsi, apprend-on que la prochaine réunion du Conseil général de ce parti se tiendra courant juillet en Tunisie. A en croire Marco Pannella, président du parti, "au cours de cette réunion, nous allons prendre des décisions destinées à institutionnaliser et à fédérer au plus vite les Etats-Unis méditerranéens". Le choix de la Tunisie, a-t-il poursuivi, émane de la volonté de situer ce pays en tant que composante naturelle et géographique de l'espace méditerranéen. Soit, c'est beau à entendre. C'est même supposé flatter et chatouiller quelque part. Mais l'on se rend tout de suite compte de l'aspect léger et fantaisiste du propos. Parce que, méditerranéens, nous le sommes jusqu'au bout des ongles. Sud-méditerranéens de surcroît. Jusqu'à la moëlle épinière. Et, en tant que tels, nous sommes prédisposés à ne pas avaler si facilement les grosses couleuvres. Et pour cause. L'intégration euro-méditerranéenne, dite processus de Barcelone, initiée en 1995, s'était soldée par un échec patent. S'étant déclinée en volets politique, économique et socioculturel, la promesse euro-méditerranéenne s'était progressivement transformée en prétention puis en déception largement partagée. Le rapport Mediterrae 2008 y avait souscrit : "Aucun des trois grands objectifs de Barcelone ne s'est concrétisé. La région est plus que jamais secouée par les tensions, or le but était de la pacifier. L'intégration économique ne se fait pas, or une zone de libre-échange est censée voir le jour à l'horizon 2010. Enfin, la promotion du dialogue culturel s'est heurtée, parfois, à l'érosion d'une culture du dialogue pourtant si particulière dans la région". L'on se souvient d'ailleurs que lors du dixième anniversaire du processus de Barcelone, en 2005, aucun haut représentant des pays sud-méditerranéens ne s'était rendu en Espagne. Puis vint la fameuse Union pour la Méditerranée (UPM). Elle aussi a sombré avant d'avoir sérieusement commencé. Les révolutions tunisienne et égyptienne lui ont même donné le coup de grâce. Pis, quelques pays européens nord-méditerranéens se sont sérieusement ligués contre ces révolutions. Aujourd'hui, la Méditerranée s'apparente bien au lac le plus fermé au monde. Pire, c'est la mer intérieure, qui totalise le plus grand nombre de lignes de clivages, de tensions et d'antagonismes meurtriers. Le Nord s'y oppose au Sud, les riches aux pauvres, les Blancs aux autres, l'Europe à l'Afrique et l'Asie, l'Islam à la chrétienté, Israël aux Arabes et musulmans…et la liste est encore longue. A la faveur des révolutions du sud, d'autres clivages intra-méditerranéens ont vu le jour. Avant de parler de prétendus Etats-Unis méditerranéens, mieux vaut rendre compte de la vraie nature des faits. Tous les indices plaident contre l'imminence de l'apparition de quelque groupement intitulé Etats-Unis méditerranéens. Si généreux soit l'intitulé et si magnanime soit la prétention. C'est bien plutôt d'Etats-Désunis méditerranéens qu'il s'agit. Aujourd'hui, il importe d'opérer un examen par le doute moyennant une économie rigoureuse du vrai et du faux. Autrement, la logomachie prime. C'est dire si les décisions que compte prendre le parti de M. Pannella en vue d'"institutionnaliser et fédérer au plus vite les Etats-Unis méditerranéens" suscitent une curiosité raisonnée. On voudrait bien être éclairés là-dessus. En vérité, l'univers méditerranéen est dans un tel chaos aujourd'hui qu'il ne laisse guère indifférent. Au nord, certains pays dits du Club-Med (Grèce, Italie, Espagne, Portugal…) sont confrontés à une crise inouïe. L'austérité sur le long terme y est la panacée imaginée par des politiques aux abois. Le repli sur soi et les vieux réflexes protectionnistes et identitaires aussi. L'Europe du Sud est devenue une muraille d'une forteresse jalousement gardée des prétendues hordes menaçant de faire irruption à partir du sud de la méditerranée. La libre circulation des personnes dans l'espace méditerranéen est plus que jamais entravée. Seuls les capitaux et les intérêts véreux passent par-dessus les frontières cadenassées. Et l'on nous parle de l'imminence des Etats-Unis méditerranéens. Laissez-moi rire.