Par Wahid Ibrahim Le tourisme culturel est une composante essentielle de toute production touristique moderne et viable. On peut même avancer que les premiers déplacements touristiques dans le monde et en Tunisie précédant l'avènement du tourisme «industriel» de masse ont eu la culture comme motivation principale. De nos jours, le touriste cherche à "bronzer de moins en moins idiot» et à intégrer des formes d'immersion culturelle parmi ses aspirations vacancières. En Tunisie, la prédominance de l'offre balnéaire a occulté, en quelque sorte, la mobilisation de ressources historiques et patrimoniales de tous ordres : traditions, artisanat, sites archéologiques, festivals, gastronomie... etc. Pourtant, ces ressources sont aussi nombreuses que variées et souvent situées à quelques minutes des zones de séjour hôtelières et des concentrations urbaines. La volonté politique de sceller le mariage entre le tourisme et la culture a fait l'objet de maints conseils ministériels et de tables rondes factices et restés sans lendemain. Mais le bébé tarde à voir le jour. Pour s'en rendre compte, il suffit d'aller voir la place du Musée de Carthage située sur la colline de Byrsa : route d'accès aux abords hirsutes et défoncés, bordée de candélabres à l'aspect de ferrailles, parking en terre battue livrée aux quatre vents en été et à la boue en hiver, gourbis innommables faisant fonction de magasins de souvenirs hétéroclites, absence totale de gardiennage de parking et de centre d'accueil équipé de commodités sanitaires, sous bois jonché de déchets de toutes sortes, présence de professionnels du harcèlement de tout poil… etc. Tout cela au cœur-même de Carthage, l'icône du tourisme culturel en Tunisie. Que dire alors des autres sites de l'intérieur du pays ? Au fait , où réside le problème ? - Les gardiens du patrimoine seraient-ils jaloux de leurs prérogatives au point de le mettre sous scellés? - Les opérateurs de voyages (agences, hôteliers) seraient-ils, à ce point, pressés de ramener le client au bercail hôtelier qu'ils jugent peu intéressant de lui montrer des trésors dont certains sont classés patrimoine de l'humanité? - Penserait-on encore qu'un touriste en vadrouille culturelle est un touriste qui dépense moins à l'hôtel? - La situation serait-elle due à un manque de coordination et de concertation entre les responsables de différents départements ? - Les années de crises auraient-elles masqué l'urgence et la nécessité de régénérer une offre "touristique" essoufflée, en fin de cycle, et dominée par le monolithisme balnéaire? - Ne serait-il pas grand temps d'impliquer les collectivités locales dans l'exploitation et la mise en valeur de leurs ressources patrimoniales, d'initier et de former les responsables et les élus locaux pour qu'ils puissent prendre conscience que le Tourisme n'est pas qu'hôtellerie? Bien d'autres interrogations relatives à la thématique touristique culturelle peuvent encore être posées. En fait, le tourisme culturel est comme un trésor caché dans un coffre scellé par deux cadenas bien solides. Les deux clés des deux cadenas ne se trouvent pas entre les mains d'un seul responsable de département : l'une se trouve entre les mains du ministre de la Culture, l'autre chez le ministre du Tourisme. Pour des raisons qu'eux seuls connaissent, il n'a pas été possible d'avancer parce que tout simplement les deux ministres ne se sont jamais présentés ensemble avant le 14 janvier 2011 pour actionner l'ouverture du coffre avec leur clé respective. Le sujet semble vaste. Par quel bout commencer? Par quelle action entamer le chantier du tourisme culturel? Il suffirait de segmenter le problème et de commencer par les cinq ou dix sites actuellement les plus visités et d'y opérer des interventions d'envergure menées par des équipes pluridisciplinaires. En effet, à quoi cela sert-il, pour le moment, de créer un musée dans un site excentré et inaccessible alors que Carthage et le Musée du Bardo, classés au hit-parade des visites, manquent totalement ou presque d'une mise en valeur à la hauteur de leur réputation, de leur image et de leur prestige ? A quoi sert-il de promouvoir 4 à 5 sites dispersés sans effet de réseautage, sans leur intégration à des routes touristiques et culturelles et sans signalétique ni promotion adéquates ? Les touristes, avides de découvertes culturelles, sont amateurs de musées et de sites archéologiques. Toutefois, ils aimeraient y trouver des conditions minimales d'accueil, de mise en valeur et d'animation. Des sites non aménagés et insuffisamment signalés ne sont pas de nature à attirer un grand nombre de visiteurs et à jouer un rôle plus évident dans la dynamique économique nationale et régionale. D'autant plus qu'il est vérifié qu'un emploi direct dans le patrimoine entraîne la création d'au moins trois emplois indirects dans des secteurs parallèles ou voisins. L'animation du patrimoine selon les techniques et les technologies les plus évoluées contribue efficacement à la satisfaction de la clientèle touristique dans sa quête de loisirs extra-hôteliers .Qui plus est, un patrimoine jalousement gardé sous le prétexte facile qu'il fait encore l'objet de recherches académiques est un patrimoine exposé à la fossilisation de l'oubli et, faute d'entretien, à la dégradation. Les chercheurs de l'Institut du patrimoine peuvent continuer à chercher, mais ils ne devraient pas empêcher d'autres acteurs de donner une fonction économique à l'objet de leurs recherches. Ce n'est ni dévalorisant pour leur mission académique ni dégradant pour le patrimoine. De même, l'ouverture des espaces et monuments historiques et archéologiques, moyennant cahiers des charges, à l'organisation d'événements d'animation et aux micro-projets d'animation, constitue une piste privilégiée à explorer. Les initiatives prises par certains promoteurs privés culturellement éclairés administrent la preuve qu'il est possible de générer une fréquentation et des recettes autrement plus importantes (ex : Dar Chraïet à Tozeur, Djerba Explorer à Midoun, Musée de Guellala à Guellala, l'Acropolium à Carthage). Par ailleurs et dans le même ordre d'idées, on assiste dans certains pays ayant pris une certaine avance dans le domaine de l'animation culturelle à l'émergence de nouveaux métiers, tels que «les animateurs du patrimoine».Ces animateurs d'un type nouveau ont pour mission de collaborer avec les autorités culturelles et touristiques et les collectivités locales en vue de mener diverses actions, telles que le ravalement et l'entretien des façades, la mise sous terre des câbles qui défigurent les monuments et les quartiers anciens, le contrôle des panneaux publicitaires et de la signalétique, la création de zones piétonnes, l'organisation de fêtes et de jeux traditionnels, la promotion de la gastronomie traditionnelle, l'illumination et le fleurissement des monuments et des quartiers et l'information du public. Alors, de grâce, en matière de tourisme culturel, ne nous acharnons pas à réinventer la roue. Commençons par mettre en œuvre les recettes qui ont fait leur preuve sous d'autres cieux. D'autant plus que nos responsables de la culture et du tourisme ont puisé leur science et leur expérience sous ces mêmes cieux. Un peu de réalisme et de cohérence ne feraient pas de mal.