Par Brahim Oueslati De plus en plus de voix s'élèvent pour critiquer le rendement du gouvernement et son comportement en cette délicate période de transition. Des critiques souvent acerbes visent quelques-uns de ses membres, y compris le premier d'entre eux ainsi que les ministres de l'Intérieur et de la Justice. Ce gouvernement qui vient d'être remanié se trouve en butte à des problèmes monstres, pour la plupart insolubles et doit répondre aux revendications de toutes les franges de la société. Revendications tout à fait légitimes et qui ne datent pas d'aujourd'hui. On a même l'impression que les raisons qui ont poussé les jeunes Tunisiens à se soulever contre la dictature se sont approfondies : chômage, précarité, pauvreté et disparités régionales n'ont pas reculé. Que peut faire un gouvernement, de surcroît de transition, dénué de moyens, si ce n'est sa simple volonté, face à une telle situation qui devient de plus en plus préoccupante ? Au moins cinq faits saillants ont marqué le paysage politique national au cours de ces derniers mois. D'abord, une pensée incohérente avec cette remise en selle de la question de l'identité nationale qu'on croyait résolue depuis des décennies. L'article premier de la Constitution de juin 1959 n'avait-il pas tranché cette question en stipulant que «la Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain: sa religion est l'Islam, sa langue l'arabe et son régime la république». Pourquoi alors avoir ressuscité un débat stérile à un moment où un consensus semble avoir été trouvé autour de l'intangibilité de cet article qui sera certainement reproduit dans la future Constitution ? Les débats biaisés et infructueux (celui ayant opposé Mohamed Talbi à Abdelfettah Mourou, ou encore ce débat autour de la normalisation avec Israël) autour de sujets loin de ses véritables préoccupations sont pour le moins gratuits. Le deuxième fait saillant est l'agressivité qui caractérise les discussions aussi bien au sein de l'Instance supérieure de la protection des objectifs de la révolution que dans les autres espaces abritant des événements politiques et autres. Difficile est l'apprentissage de la démocratie. Plus difficile encore est l'usage de la liberté. Le troisième fait est la violence qui commence à s'installer jusqu'à devenir un fait divers quotidien et qui engendre des crimes et des délits graves. Avec pour conséquences la résurgence de vieux démons du tribalisme et du régionalisme qui provoquent de profondes blessures entre les habitants d'un même quartier ou d'un même village entraînant l'insécurité et l'anarchie. Le quatrième fait est la cacophonie qui marque la communication de manière générale et la communication gouvernementale en particulier. Les points de presse bihebdomadaires initiés par le Premier ministre semblent s'essouffler à longueur de semaines. C'est à se demander pourquoi c'est toujours le Premier ministre qui monte au créneau pour répondre à des questions d'une brûlante actualité, comme c'est le cas tout dernièrement devant l'Instance supérieure de la protection des objectifs de la révolution ? Alors que d'autres ministres sont attendus, dont notamment ceux de l'Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères, pour communiquer sur les questions de l'heure comme ne cessent de le réclamer les membres de l'Instance supérieure. Le cinquième fait saillant est la récession qui frappe de plein fouet l'économie nationale : ralentissement des investissements, doute des hommes d'affaires tunisiens qui se trouvent être à l'écart du processus en cours, promesses non encore tenues des donateurs étrangers. A cela s'ajoutent les arrêts incessants de la production dans certaines usines, volontairement causés par les sit-in et les barrages humains. Situations parfois inextricables qui a fait perdre beaucoup d'argent à l'Etat. Qui veut donc la peau du gouvernement actuel et quels sont les desseins invoqués des parties qui cherchent à le descendre et ont-elles des solutions de substitution ? Le gouvernement actuel, faut-il le rappeler, ne peut pas s'installer dans le provisoire qui dure puisque son mandat s'achèvera comme prévu dans le décret-loi portant organisation des pouvoirs au lendemain des élections de l'Assemblée nationale constituante. Certes, il n'est pas exempt de reproches, mais ce serait injuste que de lui faire assumer toutes les difficultés de cette période post-révolutionnaire. Il n'a pas de baguette magique comme l'a assuré son chef dont le principe tel qu'il le réitère est «la vérité dans la parole et le dévouement dans l'action». Il est beaucoup plus un partenaire stratégique pour la multitude de partis qu'un adversaire politique. «Il a la motivation, le sens du sacrifice, mais il n'est pas à l'abri de l'erreur». Et quoi que l'on dise, on doit reconnaître au moins deux qualités à M. Béji Caïd Essebsi: son courage d'avoir accepté de diriger un gouvernement provisoire en cette difficile période de transition et son expérience d'homme d'Etat qui l'habilite à réussir dans sa mission, mais non sans l'apport des autres composantes de la scène politique et sociale.