L'immigration clandestine a toujours existé en Tunisie, discrètement au départ. Depuis le 14 janvier, le phénomène des Harragas a explosé, au vu et au su de tout le monde, et plus précisément à partir du Sud-Est où la ville de Zarzis a constitué la plaque tournante de ce fléau. A vrai dire, les histoires des Harragas se ressemblent toutes, dans la mesure où les uns et les autres se disaient persuadés qu'en Europe leur vie sera meilleure et surtout qu'ils n'avaient rien à perdre tant qu'ils vivaient dans l'injustice et la misère. Par le biais de quelques associations, ils versaient entre 6 et 8.000 dinars. Dans une embarcation de fortune, l'opération ne dépasse pas les 2 mille dinars. Ils se sont aventurés donc, en plein hiver, et ont risqué leur vie. Les uns ont été interceptés en mer, les autres repêchés à l'état de cadavre et d'autres sont toujours portés disparus. Bien sûr, un véritable business a vu le jour par des filières organisées de trafic humain. Des mafieux ont fait fortune et des centaines d'embarcations gisent, à présent, sur les côtes italiennes. Ces candidats à l'exil étaient nombreux à tenter leur chance depuis Zarzis, 22.000 environ. Dernièrement, plusieurs d'entre eux ont choisi de rentrer après 6 mois passés dans la misère, que ce soit en Italie ou en France. Ils se sont fait encore des dettes et ils ont préféré revenir vivre dignement dans la pauvreté, au lieu de subir des actes de délinquance, de malveillance et de discrimination. Rien que la semaine écoulée, un avion a atterri à l'aéroport international Djerba-Zarzis, en provenance de Paris, ayant à son bord 350 Harragas. Parmi ces revenants, nous avons rencontré le trio : Habib, Sami et Mohamed , originaires de Zarzis. Ils sont encore sous le choc, très déçus. Ils n'ont pas caché leur dégoût pour leurs proches et leurs compatriotes vivant en Europe et leur amertume après cette aventure ratée, en relatant les faits. Habib, 26 ans, 6e année primaire, multirécidiviste, n'a pas eu de chance, encore cette fois. «Je suis resté 6 mois en tout. J'ai passé les deux premiers mois dans un camp, en Italie, puis j'ai resquillé pour me rendre en Allemagne. Après 21 jours, je suis revenu de nouveau en Italie. Puis, j'ai fait défection et j'ai regagné la Suisse. Là, on m'a vite repéré. J'ai été arrêté et emprisonné pendant 4 jours avant d'être expulsé en Italie qui m'a donné un badge pour la circulation. Sans papier, il était impossible de trouver du boulot. De là, j'ai essayé, vainement, avec deux Afghans, de rejoindre la France à travers Nice. La quatrième fois, nous sommes parvenus à atteindre Montpellier puis Paris. Un mois durant, dans la capitale française, j'ai tout vu et je me suis rendu compte de la réalité des choses. Entre-temps, j'ai eu beaucoup de propositions de la part de quelques trafiquants pour vendre de la drogue mais j'ai refusé catégoriquement. Finalement, je me suis présenté à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui m'a donné 300 euros. A l'aide d'un extrait de naissance, je me suis fait un passeport, au consulat, et je suis rentré. Je ne regrette rien mais je ne mettrais, plus les pieds en Europe. Espérons que l'Addci nous aidera à monter un projet à Zarzis». Sami, 25 ans, 5e année primaire, avait essayé à deux reprises, en 2008, d'immigrer à partir de la Libye mais les deux tentatives avaient échoué. «Une association a exigé 8 mille dinars pour me procurer un visa, et comme je n'avais pas cette somme, j'ai opté pour la Harga, moyennant 2 mille dinars. On a souffert le martyre en pleine mer. Personnellement, j'ai passé une seule nuit à Lampedusa et je me suis rendu à Lyon où j'ai de la famille. Mais comme j'ai senti que j'étais indésirable, je suis parti sans même dire au revoir, pour me trouver dans la rue. Ma cousine, que j'aimais beaucoup, détournait son regard et préférait sortir avec un Africain, juste pour me vexer. J'ai donc vécu 5 mois d'errance. J'ai été arrêté plusieurs fois en garde à vue et relâché. Quelques ONG m'ont aidé mais ce n'était pas assez et je n'ai pas trouvé du travail, d'autant plus que j'ai du mal à parler et à comprendre le français. J'ai été induit en erreur, comme tout le monde. A présent, je suis en train de rombourser petit à petit les dettes qui ont atteint 5 mille dinars. Les promesses de l'Addci pour venir à mon aide existent, mais je ne vois rien venir». Le jeune Mohamed, 18 ans, n'est pas moins déçu. Il n'arrête pas de soupirer. «On m'a placé dans un camp à Bari, pendant 21 jours. Un ami de mon père est venu me chercher pour m'emmener en France. Là, j'ai constaté que mes oncles n'étaient pas chauds pour m'héberger chez eux, contrairement à ce qu'ils m'avaient promis en Tunisie. Je me suis trouvé SDF. J'ai resquillé chez des compatriotes qui ont eu pitié de moi. Mais la plupart du temps, j'étais dans les places publiques, les jardins et les stations de métro. J'avais du mal à me nourrir. A la fin, on m'a emmené à l'Ofii qui m'a donné 300 euros. Je me suis fait délivrer un passeport et je suis rentré. J'ai perdu en tout 4 mille dinars, c'est vraiment beaucoup. Dommage». Que fait l'Addci dans tout ça? Quand il s'agit de ce phénomène d'immigration clandestine, l'Association de développement durable et de coopération internationale (Addci) sise à Zarzis, fait beaucoup parler d'elle, du moins sur le papier. Elle a comme bailleurs de fonds le Pnud et l'OIM et elle est censée s'occuper de près de ce problème. Elle aurait mis en place, nous dit-on, un programme d'intégration et de développement au profit de cette frange de jeunesse qui est financé par l'ONU et la Communauté européenne durant la période 2009-2011. Toutefois, les résultats étaient en deçà des attentes. Bien au contraire, de jeunes migrants ont pu se rendre en Europe, sous le couvert de l'Addci, pour ne plus revenir. En revanche, cette association soupçonne l'Ofii et le dénonce parce qu'il n'a rien fait de bon en faveur des jeunes migrants, selon elle. Actuellement, pour faire face à ce phénomène qui perdure, l'Addci serait chargée, avons-nous appris, de s'occuper encore de la coordination. Son mandat va être prolongé du 1er septembre jusqu'à la fin de l'année 2012. Elle compte engager des sociologues et des psychologues pour assister ces jeunes, assurer des cours de formation, les aider à créer des projets, trouver un emploi... En parallèle, une autre association de Zarzis pour le développement local (Azdl) a vu le jour en février dernier. Elle semble très dynamique et fiable; c'est ce qui apparaît de la journée de travail qu'elle a organisée le 16 juillet et qui a été animée par Mme Anne Michau, avocate française et présidente de l'Association solidarité France-Tunisie (sft) ayant pour thème : «Quels droits des Tunisiens (avec ou sans papiers) établis en France?» Journée boycottée bizarrement par l'Addci et qui a vu l'affluence des Harragas rentrés récemment en Tunisie. L'OMI et les réfugiés Les camps des réfugiés dressés à Choucha par l'intermédiaire de l'Armée nationale, l'Unhcr, les Emirats Arabes Unis abritent actuellement 3.500 personnes, environ. Les conditions d'hébergement ne sont pas favorables, surtout avec le manque de vivres et d'hygiène, la canicule, les maladies, les manifestations fréquentes et le laxisme des organisations humanitaires mondiales. C'est l'Organisation mondiale de l'immigration (OMI) qui reçoit les réfugiés au poste frontalier de Ras Jédir et essaie de les rapatrier ou de leur trouver un pays d'exil, le plus tôt possible. Mais elle se trouve de plus en plus pointée du doigt par ces réfugiés qui revendiquent leur évacuation. Contacté pour en savoir plus sur la mission de l'OMI et la collaboration de l'Addci, le Tchadien Mohamed Youssef Ali, l'un des 3 responsables qui gèrent la situation sur les lieux nous dit : «Il y a en tout 33 nationalités dans les camps de Choucha : les Somaliens, les Soudanais, les Erythréens et les Tchadiens sont majoritaires. Le personnel qui s'occupe d'eux compte 26 personnes. Notre devoir est de recevoir les réfugiés, de les recenser, de les garder dans les camps ou de les transférer ailleurs. Nous ne ménageons aucun effort pour activer l'évacuation de ces réfugiés avec l'étroite collaboration de l'Armée tunisienne et le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (l'Unchr). Rien que la semaine écoulée, nous sommes parvenus à rapatrier 700 réfugiés vers leurs pays d'origine, à partir de l'aéroport Djerba-Zarzis. Cela n'empêche que quelques-uns attendent toujours depuis des mois.» Un opposant tchadien qui est là depuis 4 mois est furieux. Il se plaint du laxisme et de l'indifférence. Il dit ne pas avoir goûté le lait pendant 3 mois. Farjallah Altaf, un Pakistanais de 26 ans, accuse lui aussi l'OMI de ne fournir aucun offert pour résoudre le problème de ses compatriotes qui sont au nombre de 25 et qui attendent depuis 15 jours.