Quand les Américains Leland Albaugh (1948) puis Ancel Keys (début 50) mettaient chacun de son côté les bienfaits de la diète méditerranéenne et ses multiples vertus pour la santé en général et pour celle du cœur en particulier, les riches des pays riches n'avaient accordé aucune importance à ces découvertes pourtant cruciales. Comment, pour eux, le régime alimentaire de ces pauvres villageois de cette vieille partie du monde usée par les guerres, les mythes et les disettes pouvait-il être meilleur que le leur, le meilleur du monde? Comment ce régime pauvre en viandes et en produits d'origine animale de façon générale pouvait-il être plus bénéfique que celui qui fait leur orgueil? «La viande est l'aliment des conquérants», disait St Augustin. Et les conquérants c'étaient ces peuples du Nord qui se goinfraient de chair saignante ce qui leur conférait ce caractère carnassier. Idem pour ces peuplades de l'Est, nomades cavaliers nourris au lait cru, amateurs de gibier et de sang. Peuples qui avaient inspiré ces conquérants ibériques et leurs successeurs britanniques ayant comme eux massacré les autochtones (les peaux-rouges). Pauvre mais très riche Pauvre en viandes, riche en légumes, céréales et légumineuses. Pauvre en graisses animales, riche en huile d'olive, la panacée des panacées. C'est cela et en gros la diète méditerranéenne, devenue à partir de novembre dernier patrimoine mondial. Nous avons quand même oublié les produits de la mer qui viennent rehausser la valeur nutritionnelle de ce régime et l'autre miracle divin, le raisin. Pain complet, huile d'olive, olives, ail, oignon et du lait caillé. Voilà la voie royale pour une vie sans problèmes de santé. Une longévité assurée, si tout va bien. Un frugalité, en réalité riche en substances protectrices, régénératrices et énergétiques, dépourvue ou presque de sucre et de sel de table. «Magie Méditerranéenne» avaient écrit Marissa Clotier et Yves Adason dans leur The Meterranean Diet (La Diète méditerranéenne) en parlant de ce régime-miracle. Potion magique, recette magique… peu importe. L'essentiel c'est que cette diète est devenue l'idéal alimentaire mondial. Non sous sa forme réelle adaptée au terroir régional mais selon son schéma déjà décrit (une autre huille végétale pouvant remplacer l'huile d'olive). Et peu de viandes rouges veut dire aussi halte à la course effrénée pour la production essentiellement bovine et ce qu'elle coûte en terme de consommation de végétaux cultivés pour l'alimentation du bétail à abattre aux dépens de ceux qui auraient pu nourrir des millions de personnes (blé, riz, légumes, fruits…). Comportant des variantes, la diète méditerranéenne a évolué selon deux axes. L'un géographique ayant influencé les disponibilités alimentaires et les habitudes grâce notamment à l'influence d'autres peuples. L'autre religieux ayant divisé la Méditerranée en deux, le Nord et le Sud. Le couscous et le Ramadan D'une part, l'Afrique du Nord très céréales (couscous et bazine) et très huile d'olive en plus du mouton et, d'autre part, le Proche-Orient très riz et très smen (beurre salé et cuit) en plus des volailles. Si le Nord lui est porc et vin, le Sud par contre est, lui, mouton, volailles, huile d'olive et vinaigre. Le Sud, pour sa part, se caractérise par le Ramadan. Un jeûne volontaire et aux rythmes réguliers et précis tout au long du 9e mois du calendrier lunaire musulman (le mois de Ramadan). Une diète dans la diète qui donne un énorme avantage à cette partie sud de la Méditerranée puisque le Ramadan, s'il est bien conduit, possède des vertus inimaginables et incalculables avec un impact bénéfique sur la santé physique, mentale et sociale. Ramadan est en effet une diète à lui seul. Il permet le repos de tous les organes, la désintoxication de l'organisme, la régénération et la réparation des tissus, la revivification des fonctions essentielles de notre corps. Grâce à la baisse de l'apport alimentaire (énergétique surtout) il est une arme redoutable contre le vieillissement (contre le vieillissement précoce et le mauvais vieillissement). Sur le plan social, le Ramadan impose un nouveau rythme qui casse la routine, réunit les familles autour de la table, donne un coup de fouet à la vie spirituelle, à la solidarité et à certains secteurs de l'économie. Pas de porc, pas de vin (en général) et le Ramadan en plus. Une révolution totale qui fait la nette différence entre le Nord et le Sud de la mer, la nôtre. Mais pourquoi le couscous, qui a conquis le Nord, n'a pas pu conquérir l'Est, le Machreq? Deux raisons pourraient être évoquées. La première est que les habitudes alimentaires des Machréquis penchent vers la multitude de petits plats, alors que le couscous est un grand plat qui réunit le tout. La seconde est que le mot «couscous» rappelle, et de très près, le nom que donnent les Machréquis au sexe de la femme. Cela, sans oublier le regard quelque peu réducteur qu'ont les Machréquis sur tout ce qui vient du Maghreb. Ce sont les Phéniciens, peuple de l'alphabet, de la navigation et du négoce qui viennent donner des leçons aux Amazighs (les hommes libres), d'après bien sûr cette conception mesquine. Certains ont donc oublié qu'il y a une civilisation punique et que, pour avoir de délicieuses pommes ou poires, on a besoin de greffer ces espèces sur un bon et solide cognassier. Le couscous, vraie diète méditerranéene. Diète méditerranéene en un seul plat. L'aliment et l'ambiance En focalisant leurs études sur le régime alimentaire, nos amis américains ont oublié plusieurs facteurs entrant en ligne de compte à côté de la diète proprement dite. C'est vrai qu'ils ont mis en relief le fait que les Méditerranéens se nourrissent du terroir qui, selon les saisons, offre des variétés spécifiques. C'est vrai qu'ils ont bien souligné le fait que les produits de la Méditerranée (terre et mer) sont plus bénéfiques en termes de nutriments et de substances protectrices, et qu'ils sont plus frais et plus délicieux que ceux consommés aux Etats-Unis par exemple. Mais ils ont oublié ou plutôt omis plusieurs autres facteurs. D'abord, la douceur du climat et son influence sur l'état général de la santé et surtout sur les habitudes individuelles et sociales qui en découlent (y compris le fameux caractère méditerranéen extraverti, altier, bon vivant...). Au centre, l'ensoleillement qui favorise un meilleur squelette, peu d'attitudes dépressives et aide à la désinfection. Le climat méditérranéen impose, par ailleurs, la sieste, ce grand remède pour le corps et l'esprit. Pas seulement en été, chose évidente, mais aussi au cours du reste des saisons. Or, une sieste, même assez courte, possède d'énormes vertus en termes de santé physique et mentale. Et voilà que les Allemands et les Japonais l'intègrent dans leur système infernal de production, car elle permet une meilleure productivité et diminue le stress, ainsi que les risques d'accidents. A côté de la sieste, il y a cette alternance travail-farniente qui caractérise les Méditerranéens. Cela permet de décompresser et de freiner un peu le rythme de production imposant un modèle plus humain donnant sa place aux aléas et à plus de souplesse. C'est en général cette joie de vivre, cette insouciance, cette frugalité, cette convivialité, un art de vivre pour résumer tout cela et de vivre ensemble qui donne tous ses atouts à la diète méditerranéenne. Car manger en groupe, c'est manger moins, c'est manger dans l'ambiance, c'est manger dans la sérénité... dans le bonheur.