Par Farhat HACHED Le taux d'inscription sur les listes électorales (30% de l'électorat au 02 août) nous interpelle en tant que citoyens et nous incite à réfléchir sur la manière d'assurer la transition démocratique. Nos décideurs ont encore une fois reculé des échéances qu'ils se sont fixés, jetant à nouveau le discrédit sur une démarche, un gouvernement et des instances en mal de légitimité. Je suis, par ailleurs, étonné du contenu de certaines analyses et notamment celles qui trouvent que le peuple n'est pas responsable, pas "conscient" de la chance qu'il a de participer à des élections libres. Certains intervenants arrivent même à se faire des reproches, ils n'ont peut-être pas été performants en matière d'explication et de sensibilisation. A mon avis, dans ce domaine, le cadre de l'information et de la sensibilisation est dépassé et on risque de tomber dans le piège de la manipulation. Or les Tunisiens ne sont pas dupes ! Et si par cette attitude ils refusaient un processus qu'on leur a imposé à tort ? Les peuples n'aiment pas être trompés. Après Bourguiba président à vie (en 1974) et Ben Ali 2004 puis 2014 (présentés comme étant la revendication populaire !),voici que M. Mebazaâ nous raconte l'histoire du peuple qui ne veut plus de la Constitution pour ne pas rentrer chez lui le 15 mars 2011 et se donner le temps avec le pouvoir qu'il représente de trouver une solution pour passer le relais à des mains "confiantes". En effet, les anciens RCD (comme Ennahdha) savent que leur unique chance de gouverner le pays avec moins de 10% des voix passe par l'élection de la Constituante. Ils pensent avoir la possibilité de dominer cette Assemblée (les uns comme les autres étant persuadés d'obtenir la majorité des sièges). En effet le mode de scrutin adopté, le nombre de partis par rapport au nombre de sièges par circonscription et surtout les moyens financiers dont disposent ces deux ensembles de formations entretiennent ces espoirs. Les autres partis ne sont pas en reste ; certains croient vraiment qu'avec le mode de scrutin ils vont être représentés à l'Assemblée et participer à la décision. Le pire, c'est qu'ils n'imaginent pas qu'ils puissent être dans l'erreur. Ces derniers sont persuadés de travailler pour le bien du peuple et sa liberté. Nous nous trouvons là devant une forme singulière de fausse conscience, cette situation décrite par Nietzsche, où l'opposé du vrai n'est pas le mensonge, mais la conviction. Certains n'ont pas compris qu'ils ne sont pas en 1789 mais en 2011. A l'époque, l'élite française a remplacé la monarchie par l'oligarchie. Aujourd'hui, notre "élite" veut instaurer la "particratie" à la place de l'autocratie, or ce que nous voulons c'est la démocratie. Il est temps de remettre en cause le processus engagé et de revenir à un mode de transition moins compliqué, plus cohérent et surtout plus respectueux de la souveraineté du peuple. Ma proposition faite le 02 mars 2011 sur ces mêmes colonnes préconisait la création d'un collège regroupant des représentants des institutions de l'Etat pour assurer la transition démocratique qui ne peut commencer qu'avec la rupture avec le pouvoir en place. Une seule nuance, ce comité ne pourra plus être présidé par M. Béji Caïd Essebsi qui ne bénéficie plus de la neutralité requise. Il n'est jamais trop tard pour bien faire. L'idée de la Constituante prévue au mois de juillet a condamné le pays à au moins une année de stagnation. Personne ne peut investir. La saison touristique 2011 était compromise dès la prise de décision, avec le recul des élections c'est la saison 2012 qui est condamnée et les dégâts seront considérables pour l'ensemble de l'économie. Ces répercussions, malgré leur gravité, ne constituent pas ce qu'il y a de plus dangereux dans la démarche ; le plus grave, c'est l'erreur de diagnostic du mal du pays et le refus de l'admettre. La Constitution n'est pas le problème du pays même si elle a été manipulée par nos dirigeants ; notre mal est la mentalité ambiante. Or ces dirigeants ne veulent pas se remettre en cause, ils n'ont jamais fait d'erreurs, ils restent les meilleurs pour continuer à diriger le pays. Les responsables sont : Ben Ali et la "Constitution de Bourguiba". En effet, le régime adopté en 1959 est jugé responsable de l'autocratie et on nous propose la solution miracle pour en sortir : un régime parlementaire comme si Hitler et Mussolini ne venaient pas de régimes parlementaires. Les Sud-Coréens, pour leur sixième Constitution adoptée en 1989 qui signe l'instauration de la démocratie dans ce pays, ont adopté le même type de régime que le nôtre. La Grande-Bretagne a un régime de monarchie, ce qui ne l'empêche pas de figurer parmi les plus solides démocraties. A l'opposée, la grande Jamahiriya libyenne stipule le pouvoir du peuple; dans les faits le pays voguait au gré des délires du guide. La démocratie existera là ou les libertés individuelles, le droit à l'expression seront garantis dans le cadre d'un Etat de droit qui ne peut se réaliser sans justice strictement indépendante. Cette mentalité, à l'origine de nos déboires, réside dans le non-respect du droit, la confiscation de la décision et le non-respect du peuple (démagogie, dénaturation du mode de scrutin, utilisation des mots dans le sens contraire à celui qu'ils veulent dire, etc.). Des maux aujourd'hui représentés au sein de l'Instance Ben Achour comme ils ont existé hier dans l'enceinte du PSD puis du RCD. L'instauration de la démocratie est tributaire du soutien qu'apportera la population à nos journalistes et sa capacité à réclamer le pouvoir de décision, ce qui revient à ne pas laisser les politiques s'arranger entre eux. Avec ce démenti des Tunisiens à leurs allégations, j'espère que nos politiciens vont enfin comprendre qu'ils ne peuvent plus dire le peuple veut ceci ou cela.