Par Slaheddine KAROUI Par rapport à la politique des prix, à celle du budget ou bien encore à celle de la fiscalité, la politique de l'emploi, en Tunisie, a, de plusieurs points de vue, l'inconvénient de l'aléa : aléas météorologiques en matière agricole; aléas exogènes et endogènes relativement au tourisme;aléas financiers ou politiques s'agissant de la création d'entreprises dans le cadre de la délocalisation ;aléas de besoins de fonds de roulement concernant le financement des micro- projets etc. Au-delà de cette remarque, l'application d'une politique de l'emploi pose des problèmes auxquels la science économique n'a apporté jusqu'ici aucune réponse suffisante, chez nous comme ailleurs. C'est d'ailleurs compréhensible, parce que qu'est-ce qu'une politique dont la variable centrale — ici, l'emploi— se modifie au fur et à mesure de son application et même lors de sa démonstration ? Mais il y a plus grave‑: c'est lorsqu'on pratique, de surcroît, une politique archaïque de l'emploi, créant ainsi les conditions permissives du chômage. C'est, me semble-t-il, ce qui s'est passé, au cours de ces dernières années, en dépit d'une croissance respectable, si on considérait, toutefois, comme étant exacts les taux la concernant. Quoi qu'il en soit, le volume du sous-emploi bat chez nous des records jamais atteints. En effet, 700.000 chômeurs dont 150.000 diplômés sans perspective d'embauche rapide, représentent un défi qui, s'il n'était pas relevé, plongerait la Tunisie dans une crise sociale sans précédent. Or, au vu des grandes potentialités des jeunes Tunisiens, ne pas relever ce défi dans les trois prochaines années, c'est accepter de se soumettre à la fatalité. Mais, je suppose qu'il n'en sera rien car notre pays a des atouts et des moyens pour sortir du chômage qui sont respectivement les gisements d'emplois et, à court terme, l'accès au crédit des institutions internationales. Il y a deux raisons majeures au sous- emploi actuel‑: – L'absence de stratégie de développement des régions enclavées ; – La non-exploitation des gisements d'emplois et des nouveaux métiers. 1.Absence de stratégie de développement des régions enclavées Que faire face à ce formidable problème qu'est le sous-développement régional ? Premièrement appliquer les mesures préconisées Infra et deuxièmement souhaiter que les élites, souvent brillantes de ces régions, notamment celles qui sont installées dans la capitale et les grandes villes, s'impliquent dans la création de clubs de développement dédiés à leurs provinces aux fins de chercher et trouver, avec les autorités régionales et centrales, des solutions permettant à ces contrées enclavées de rompre avec la pauvreté et d'entrer de plain-pied dans la modernité et la prospérité. En effet, de tels clubs, sont les seules à pouvoir peser sur l'administration centrale. 2 Les gisements d'emplois et métiers nouveaux Il existe, en Tunisie, de nombreux gisements d'emplois, qui attendent d'être pourvus en travailleurs, notamment diplômés. Ces gisements, non exhaustifs, sont : – La maintenance et la logistique; – L'informatique nouvelle; – La qualité sous sa forme ISO et TMQ; – L'environnement; – La communication interne; – Les énergies renouvelables; – Le développement durable; – Etc.
Maintenance et logistique
La Tunisie s'industrialise et se dote d'infrastructures depuis 1962.Depuis lors, 50 ans sont passés, rendant éligibles à la maintenance tous les établissements hôteliers, hospitaliers, administratifs, scolaires, secondaires, universitaires, industriels ainsi que les pénitenciers, les routes, les autoroutes, les chaussées, les ponts, les barrages, les machines de tous genres, les équipements des mines, des usines et des carrières, etc. Bref, l'heure de la rénovation des biens matériels a sonné, rendant urgent le recours à tous les corps de métiers opérant dans la maintenance et la logistique. Sachant, par expérience, que ces derniers sont rares il est donc impératif de recycler et de former des milliers de techniciens, actuellement au chômage, à ces disciplines. Le chiffre « milliers » n'est pas employé à la légère, car, au regard de l'ampleur des dégradations et du nombre de chantiers, la quantité d'agents d'entretien qu'il faudra mobiliser s'exprime bien en milliers.
L'informatique nouvelle
Depuis l'an 1995 des centaines de métiers nouveaux sont venus s'ajouter aux métiers classiques de l'informatique. Ces nouveaux métiers ne sont pas tous accessibles à nos informaticiens, faute de demande, par notre marché, de certaines applications pointues. A contrario, de nombreuses autres applications sont exigées par le marché, ce qui signifie qu'aux fins de le satisfaire, il faut créer les métiers correspondants. Je ne citerais pas, ici, ces nouveaux métiers. Mais, si chaque organisme, toutes catégories et tailles confondues, se dotait seulement de deux métiers nouveaux correspondant à ses besoins il sera créé d'ici fin 2012, 160000 emplois, sachant par ailleurs que la Tunisie compte actuellement environ 70000 petites et moyennes entreprises ( source bulletin CMF du 03 Mai 2006)! Si on ajoutait à ces établissements les entreprises publiques, l'administration, les banques et assurances ainsi que les SSII, le chiffre pourrait être multiplié par un coefficient de 1,5 au moins.
La qualité
Tous les organismes japonais, coréens du sud, chinois, américains etc. emploient la qualité comme méthode principale de management. Ils ont recours, en plus, aux cercles de la qualité, en vue d'éradiquer toutes les anomalies de gestion et de produits et ce aux fins d'améliorer en permanence les performances de leurs produits et services. Il existe actuellement plus de deux millions de cercles de la qualité au Japon qui, de ce fait, s'est hissé en 20 ans au TOP des pays les plus prospères du monde. En Tunisie, environ 1300 entreprises sont certifiées ISO 9000. Les 68700 autres continuent d'observer sans s'impliquer. Pourtant, si elles se mettaient à la qualité il pourrait être créé dès maintenant plus de 70000 emplois, qui viendraient contribuer à leur performance à l'horizon 2014.Combien faut-il de temps pour former à la qualité un cadre ou un bac +2 au chômage? 120 heures. L'environnement Toutes les entreprises ne sont pas nécessairement sujettes à la certification de l'environnement ISO 14000.Mais 70 % de nos organismes tels que les tanneries, les entreprises de chimie, les industries agroalimentaires, celles du traitement mécanique des minerais, du transport terrestre, aérien et maritime, ainsi que les forêts, les lacs, les villes, les espaces verts ont un besoin urgent de recourir aux spécialistes de l'environnement – ingénieurs de prévention des risques et des pollutions ; écotoxicologues ; gestionnaires de déchets ; ingénieurs contrôle de bruit…-- si elles veulent entrer de plain- pied dans la modernité et protéger la planète des menaces qui la guettent. Si en Tunisie, l'environnement occupait la place qu'il mérite il emploierait, aujourd'hui, sans problème, au moins 4.0000 personnes. La communication interne En Europe en général et en France en particulier, 93 % des organismes dont l'effectif est supérieur à 10 sont dotés de structures de communication interne – 1 à 5 personnes – destinées à prévenir et traiter les malaises au sein de l'entreprise. En Tunisie, le concept de communication interne n'est pas méconnu, mais il n'est pas appliqué dans 99 % des organismes. Pourquoi cette négligence, alors que l'entreprise tunisienne gérée, jusqu'à aujourd'hui, de façon verticale et autoritaire est sujette à de nombreux malaises causés par les rivalités, la rétention de l'information, le cloisonnement des services et les abus de toutes sortes. Si, depuis maintenant 30 ans, les gouvernances des entreprises s'étaient souciées du bien-être de leur personnel, elles auraient employé, aujourd'hui, plus de 70000 personnes, au coût d'une formation de 80 heures. Les énergies renouvelables Elles représentent pour la Tunisie un gisement d'emplois intéressant sur les plans quantitatif et qualitatif. Solaire, éolien, biomasse, géothermie, Hydraulique sont des secteurs modernes et futuristes qui peuvent employer des dizaines de milliers de personnes en tant qu' ingénieurs spécialisés dans les pales de rotors, l'assemblage des nacelles, les enjeux techniques, la biothermie, mais aussi comme techniciens en matière d'électromécanique, de plomberie fine, d'installation/maintenance etc. De fait, les énergies renouvelables ont besoin, pour leur déploiement, de toutes les catégories de technicien depuis le bac jusqu'au bac + 5 moyennant une formation ad-hoc. Le développement durable C'est en pratiquant le développement durable qu'un pays parvient à concilier les impératifs de la production industrielle avec ceux de la santé et de l'environnement. Le développement durable concerne de multiples projets tels que le recyclage des déchets, l'économie de l'énergie, la gestion des risques industriels… et fait appel à de nombreux nouveaux métiers tels que : responsable du développement durable, déontologue, spécialiste de l'analyse sociale etc. Comme l'offre en matière de développement durable se diversifie, de jour en jour, au point de fournir, actuellement, plus de 690 métiers nouveaux, rien qu'en France, on se demande, avec raison, combien la Tunisie, aurait-elle pu créer d'emplois, si elle avait rattaché son wagon à la locomotive du progrès et de la modernité‑? On pourrait aller plus loin dans l'identification des gisements d'emplois, mais ceux qui figurent supra, suffisent à couvrir largement le déficit d'emploi des diplômés, actuellement, au chômage. Avec quelle source de financement créer ces emplois, dirait-on ? Avec la même source que celle qui va procurer à la Tunisie un crédit de 125 milliards de dollars. Aucune politique, spécialement celle de l'emploi, si elle n'est novatrice n'échappe à la routine, puis à la déshérence et enfin à la désintégration. En Tunisie, parce que la politique de l'emploi a cessé d'adhérer à la réalité économique moderne et à l'évolution de la société mondiale en termes d'innovation et d'émergence de nouvelles activités et de nouveaux métiers, elle s'est retrouvée piégée dans un schéma traditionnel de gisements d'emplois anciens et saturés qui l'a conduit à la situation de blocage qui est la sienne aujourd'hui. Mais en matière d'emploi, comme en d'autres matières, il n'y a pas de fatalité. Comme il a été montré ci-haut, les solutions modernes pour vaincre le chômage au moindre coût ne manquent pas. Il suffit à cet effet que le pouvoir régalien et les chefs d'entreprise le veuillent et que la société, maintenant libérée, redevienne adulte et retrouve ses spontanéités et initiatives. Dès lors, les tendances seront inversées et l'espérance succèdera à la détresse.