Par Fathi FRINI * Pour les riverains dépités comme pour les commerçants patentés, qui devraient normalement avoir pignon sur rue, tout n'est désormais pas pour le mieux dans la meilleure des capitales possibles. Cela se sent partout, cela devient même perceptible, sinon ça saute carrément aux yeux : on commence à s'étouffer du côté de notre capitale. Pourtant, une certaine révolution libératrice est bel et bien passée par là, mais nullement dans ses intentions d'en faire un véritable capharnaüm. Une drôle d'anarchie règne, en effet, un peu partout et tout autour de la Médina, mais bien au-delà, à travers ses rues et ses ruelles. Nous n'arrivons plus ou à peine, nous autres quidams, à nous frayer un chemin, à retrouver notre voie habituelle au milieu des étals éparpillés. Mieux vaux tard que jamais «Le marché rit, joyeux, bruyant, multicolore/pèle-mêle étalant sur ses tréteaux boiteux/ ses fromages, ses fruits, son miel, ses paniers d'œufs/ s'attarde à chaque étal, va, vient, revient, s'arrête/ aux appels trop pressants parfois tourne la tête», comme disait jadis le poète français Albert Samain. Mieux vaut tard que jamais, les autorités publiques bien décidées de ne plus tourner la tête, ont fini par répondre aux appels trop pressants des gens de la grande et prestigieuse Tunis. Pour mettre le holà enfin à tout ce fatras indescriptible, encombrant particulièrement les voies piétonnes jusqu'à bloquer l'accès à bien des endroits et à moult services, empêchant certainement les gens à vaquer paisiblement à leurs occupations quotidiennes. Les gens de la rue, les marchands dits ambulants ont parsemé les rues et les avenues de notre légendaire capitale, de leurs étals de fortune, parfois, sur une espèce de charrette de 3 mètres de long et de 2 mètres de large, la taille standard en quelque sorte. Cela pour ceux qui se veulent un tantinet organisés ou alors respectueux de l'environnement. Pour le reste, c'est à même le sol, ou au-dessus de deux ou trois cartons, étalant tout un fatras de tout et de rien, de la camelote, en veux-tu en voilà, vendue ou mieux fourguée pour quatre sous. Et les jeunes gens qui y officient, qui se ressemblent tous à s'y méprendre, poussent sinon «invitent», les passants à leur acheter, bon gré mal gré, tout et n'importe quoi. Ils se font insistants, plus audacieux dans leur sollicitation, usant, sans coup faillir, d'une stratégie de marketing hors du commun. Le tsunami des étals Prenons les trottoirs. Euh, que disons-nous ? Les trottoirs ? Il n'y en a plus. C'est que les voies d'accès aux souks ou aux commerces se trouvent continuellement encombrées et une exubérance inaccoutumée a radicalement transformé l'ambiance bon enfant née suite à l'élan révolutionnaire de tout un peuple qui reprend enfin goût à la vie et qu'il y a quelque temps déjà, paraissait bien morne. L'activité a repris depuis certes, mais alors pas de plus belle. Tout ce beau monde semble pourtant se frotter les mains, profitant de la sorte de l'aubaine qui leur est ainsi offerte. Les commerçants patentés, usant d'une patience inouïe, de leur côté, continuent désormais de se ronger les freins. Visiblement contrariés, ils n'en peuvent plus. Et, au fil des jours, la situation ayant empiré, ils se seraient retrouvés littéralement submergés par le tsunami des étals; au point que leur disjoncteur, pourtant de grande marque, risque à tout moment de sauter. Et ils ne pouvaient même plus voir le bout de leur peine, euh, le bout de la ruelle. De leur côté, les marchands de beignets, de sandwich ou de portables continuent, imperturbables, de réaliser des affaires en or — du faux or, évidemment — depuis qu'il y a eu, paraît-il, une révolution en Tunisie. Tout le monde semble satisfait que notre révolution serait née d'un marchand ambulant, une véritable icône, qui leur a créé, vraisemblablement, les conditions propices d'une activité fort lucrative leur permettant d'arrondir leurs bénéfices impunément et au gré de la réglementation. A l'évidence, ils y sont de trop… Les bruits de la ville, le brouhaha des gens se sont amplifiés de quelques décibels parce que les vendeurs sur le terre-plein de l'avenue Bourguiba, sur les grandes artères de la capitale, s'égosillent à qui mieux mieux pour écouler leur camelote, parce que ça ne se vend plus, étouffant la voix pourtant amplifiée du pauvre muezzin, tout en haut du minaret, pour les cinq appels quotidiens. Eux, ils ne l'entendaient pas de cette oreille : ils continuaient de faire la sourde oreille aux gars des «taratib» ou alors la police municipale, s'il lui arrive de se manifester. A tel point que, des fois, il fallait faire appel au renfort de la police, sinon de l'armée pour leur faire entendre raison. Certes, ils s'exécutent après un long palabre. Mais ils finissent par se retirer mais juste le temps que les forces de l'ordre sont appelées à d'autres missions, se refusant même à l'évidence : ils y sont de trop. Espérons toutefois que la campagne, quelque peu musclée, orchestrée il y à quelques jours, dans la capitale aussi bien d'ailleurs que dans nos grandes villes, les décourageraient, une campagne qui n'est pas passée on s'en doute, inaperçue. Bref, tout le monde ou presque semble être au pinacle du bonheur d'avoir eu gain de cause, en fin de compte, remportant enfin la manche. Espérons qu'il n'y aurait pas d'autres.