Par Bahroun SELIM Les promoteurs du régime parlementaire prétextent tous que c'est le régime qui permettra le bannissement à jamais de toute forme de despotisme du chef de l'exécutif. En réalité, ce type de régime parlementaire est promu par un parti important en Tunisie, pour la simple raison que cela lui assurera une domination du futur jeu politique, et il est proposé aussi par certains des plus petits partis, assurés aussi qu'ils y trouveront leur seule chance d'y jouer un rôle supérieur à leur poids électoral réel. Mais le devoir nous commande de rappeler que le régime parlementaire enfanté Napoléon III, Mussolini et Hitler, pour ne citer que les plus connus des dictateurs. Sans rentrer dans les définitions du régime parlementaire (de nombreuses contributions s'étaient penchées auparavant sur ce sujet), nous allons en égrener point par point ses principaux inconvénients. 1- La difficulté pour former des gouvernements stables Le régime parlementaire ne peut fonctionner que dans les pays où il y a un bipartisme stable (exemple le Royaume-Uni) ou une bipolarisation des forces politiques (exemple de certains pays scandinaves). Le mode de scrutin utilisé pour obtenir cette configuration politique est généralement le majoritaire à un tour, largement anti-démocratique car les sièges gagnées ne représentent pas la proportion des voix obtenues. Le gouvernement est en effet formé suite à la réunion d'une coalition de partis rassemblant une majorité au Parlement. En Tunisie, la mosaïque de partis rendra la formation d'une telle coalition très difficile et après un délai certainement trop long. Les périodes de vacance gouvernementale se prolongeront et se multiplieront, mettant en danger la stabilité du pays ainsi que la croissance économique. Le chômage augmentera et un cercle vicieux très grave se mettra en branle. Napoléon III a fait un coup d'Etat en 1851 pour mettre fin au blocage institutionnel de cette époque en France. 2- Le risque de surenchère politicienne des petits partis Les petits partis ont une grande importance dans le régime parlementaire. En effet ce sont eux qui sont courtisés pour rejoindre une coalition ou une autre, et quand ils adhèrent à une coalition, ils maintiennent un chantage permanent sur cette dernière, pour qu'elle leur donne un poids surdimensionné dans le gouvernement, faute de quoi ils menacent de le quitter et le faire renverser. Cette position de force est anti-démocratique car elle ne traduit pas la réalité de leur poids négligeable issu du suffrage populaire. C'est du marchandage politique pur et simple. Ces jeux d'alliances et de contre-alliances (dont on commence à voir les contours aujourd'hui déjà) ne sont pas recommandables dans un pays qui a des problèmes socioéconomiques énormes et dont les ressources naturelles sont si faibles. 3-Les francs-tireurs ou l'indiscipline possible à l'intérieur des coalitions Cela consiste à ce que certains députés faisant partie d'une coalition au pouvoir, votent à contre-sens des consignes de leur groupe. Cela se traduit par un risque de paralysie du gouvernement et de cacophonie à l'Assemblée où la transhumance politique battra son plein. Ce phénomène, très probable en Tunisie, car l'émiettement des partis fera que les coalitions seront faites de bric et de broc, mettra les futurs gouvernements dans une situation d'insécurité qui les empêchera d'entamer les réformes nécessaires au pays. Un blocage qui risquerait de provoquer un coup d'Etat et une nouvelle période de dictature. L'opinion y sera résignée, car fatiguée des querelles des partis, et elle en sera réduite à bien accueillir un nouveau despote censé remettre de l'ordre. Le régime semi-présidentiel : juste milieu et compromis efficace Ce type de régime emporte l'adhésion de la plupart des partis importants (généralement du centre progressiste) et des indépendants dans leur programme. Ils justifient ce choix, judicieux à mon sens, par la situation politique particulière d'un pays sortant d'une révolution: fragmentation des partis et absence de traditions de coalitions. En quelques points, qui exposeront les caractéristiques de ce système, nous allons essayer de montrer comment ce régime n'implique pas un danger de glissement vers l'exercice personnel du pouvoir de la part du président. 1- Election et rôle du président L'élection au suffrage universel procurera au président une légitimité électorale importante ainsi qu'une dignité de vrai chef de l'Etat qu'il n'a pas dans la république parlementaire. Le président, qui nomme le Premier ministre, aura assurément, comme de tradition dans les pays démocratiques, le premier rôle dans les domaines régaliens de l'Etat : sécurité, défense nationale et affaires étrangères Il partage l'initiative des lois avec l'assemblée, pour avoir les moyens d'appliquer son programme. Il est l'arbitre et le garant de la continuité de l'Etat en cas de paralysie politique du pays ou de menace extérieure ou intérieure. 2- Le Premier ministre: une fonction charnière Il est nommé par le président mais il doit avoir la confiance du Parlement pour former un gouvernement. Il partage avec le président les tâches dans la direction du pouvoir exécutif et il est responsable à la fois devant le président et devant le Parlement, ce qui lui confère un rôle très important de jonction dans ce système politique. Cela dilue le poids du président de la République et l'empêche aussi de penser à se tailler un costume de monarque absolu, même s'il en a la vocation. 2-Equilibre et séparation souple des pouvoirs entre exécutif et législatif C'est un système où il y a en effet dilution du pouvoir entre deux légitimités: celle du président et celle du Parlement. Entre les deux, il y a donc pouvoir et contrepouvoir, poids et contrepoids, le pouvoir qui arrête le pouvoir. Ce système de poids et contrepoids a fait la stabilité politique de la France de la cinquième République. Le Parlement peut renverser le gouvernement si une motion de censure est votée. Le président est alors obligé de nommer un nouveau Premier ministre et un nouveau gouvernement. Ce contrôle exercé par le Parlement sur le pouvoir exécutif empêche toute possibilité de dérive du président, qui peut aussi être destitué en cas de manquements graves à ses fonctions. Les conclusions qui s'imposent Après la chute de Saddam Hussein, l'Irak, traumatisée par la dictature de l'ex-Raïs, mais aussi pour résoudre l'équation difficile du partage du pouvoir entre les diverses ethnies et confessions, a choisi par réaction le régime parlementaire. Mais après les élections législatives de juin 2010, ce pays est resté 289 jours pour constituer un gouvernement. L'exemple de l'Irak est proche historiquement et sociologiquement parlant vu que c'est un pays arabe et musulman en majorité. Mais la comparaison s'arrête là, car l'Irak est aussi un pays très riche en ressources naturelles, ce qui adouci les séquelles laissées par de telles périodes de vacance du pouvoir. La Tunisie ne peut se permettre de tels blocages, elle qui a des ressources très limitées et des défis économiques et sociaux titanesques à gagner. On l'a vu dans cette contribution, le président ne devient pas un despote quand il est élu dans un système démocratique et décentralisé où le Parlement détient un pouvoir au moins aussi important que le sien. L'opinion publique, les partis et le tissu associatif, relayés et alimentés par une presse libre, exerceront sur les pouvoirs publics une pression constante et pesante. La justice indépendante demeurera une épée de Damoclès constante sur l'exécutif, qui devra respecter la Constitution sur le fond et la forme. L'autonomie et l'indépendance des institutions publiques ou privées importantes ne laissent pas le président libre de faire ce qu'il veut. Tous ces éléments constituent des garanties suffisantes pour empêcher le retour de toute tyrannie. On a vu aussi que le régime politique qui sied actuellement le mieux à notre pays c'est le régime mixte, un subtil alliage d'efficacité de la gouvernance et de démocratie profonde et réelle. Le meilleur exemple vient des Etats-Unis dont le régime est présidentiel depuis la Constitution de 1787, et pourtant aucun des 42 présidents qui se sont succédé n'a réussi à abuser de ses pouvoirs. Pour comparer le comparable, rappelons aussi que les pays africains (à l'exception de deux petits pays, le Cap Vert et l'Ile Maurice) et d'Amérique du Sud et Centrale ont tous adopté des régimes présidentiels ou mixtes, car plus adaptés à la nécessité d'avoir des systèmes stables et efficaces pour traiter les innombrables défis du développement et de la réduction de la pauvreté. La Tunisie constituera-t-elle une exception à ces choix unanimes et raisonnés ? C'est à l'électeur de répondre à cette question par le biais de son vote le 23 octobre.