• Un modèle d'équilibre macroéconomique qui a pénalisé les classes salariales • Quand on parle de confiance, il s'agit d'abord de rétablir la confiance des partenaires locaux qui entraînera celle des partenaires étrangers • La masse des salaires qui représentait au début des années 90, 39% du PIB est passée en 2008 à 32% du PIB «Le modèle économique adopté par la Tunisie jusqu'au 14 janvier 2011 a répondu à la problématique initiale posée durant les années 86-87, à savoir celle d'assurer un équilibre extérieur et de résoudre l'épuisement des réserves de change», c'est ainsi que M.Rached Bouaziz, enseignant universitaire en sciences économiques, présente le modèle économique national durant les vingt-trois dernières années. Ainsi, tout ce qui a été réalisé au cours de cette période visait à résoudre cette problématique et les efforts déployés dans ce cadre ont été efficaces, le niveau de réserve de change a, en effet, été, à la fin 2010 de 150 jours d'importations. La baisse de la réserve en devises enregistrée au cours de l'année 2011 est liée à la conjoncture spéciale et notamment la chute des recettes touristiques et la baisse des exportations de phosphate et dérivés. Ainsi, le schéma de développement adopté par la Tunisie a-t-il permis de reconstituer les réserves en devises et une baisse relative de la dette extérieure, fait qui a été notamment favorisé par la privatisation de Tunisie Télecom, note-t-il encore. Cette politique a, également, permis un retour vers un déficit budgétaire faible et soutenable. Notre interlocuteur précise que c'est un modèle d'équilibre macroéconomique interne et externe qui a été assuré grâce à la promotion des exportations et une dépréciation continue du taux de change du dinar, notamment depuis 2003. Cette dépréciation se fait au détriment du pouvoir d'achat des Tunisiens et permet, par ailleurs, de renforcer la compétitivité des entreprises exportatrices, note-t-il encore. Toutefois, si ce schéma de développement a permis de réaliser ces objectifs, il est passé outre deux points essentiels, à savoir l'emploi et le développement régional. «J'ajouterai qu'il a également favorisé les inégalités des répartitions salaires/profits. D'ailleurs, la masse des salaires, qui représentait au début des années 90, 39% du PIB est passée en 2008 à 32% du PIB», précise encore le spécialiste qui ajoute que le plan de développement adopté par la Tunisie a permis de générer de la croissance dont les fruits sont, surtout, allés aux chefs d'entreprise au détriment des salariés, générant, ainsi, un appauvrissement relatif de cette catégorie. Un appauvrissement aggravé par l'orientation de l'économie vers l'exportation ( les exportations représentaient alors environ 50% du PIB). Un choix qui a, également, eu un effet négatif sur les recettes fiscales ( exonération de l'impôt sur les bénéfices des entreprises exportatrices). Dans ce même ordre d'idées, M. Bouaziz note qu'en 2008, la possibilité d'imposer 10% sur les bénéfices des entreprises exportatrices a été évoquée, la décision a, toutefois, toujours été reportée par peur de voir les investisseurs étrangers partir et de dissuader les producteurs locaux. Ainsi c'est sur les entreprises produisant sur le marché local et sur les salariés que la pression fiscale a le plus pesé. Evoquant la question des inégalités régionales, notre interlocuteur relève qu'après l'alarme déclenchée en 2008 par les événements de Redeyef, le gouvernement ne s'est pas réellement engagé à résoudre efficacement le problème. Pour ce qui est de la question de l'emploi, il relève que c'est le modèle de développement lui-même qui n'était pas générateur d'emplois, soulignant que le choix d'un modèle essentiellement basé sur l'exportation et le souci de compétitivité qui en découle dictait de se conformer aux normes de productivité internationales qui tablent surtout sur le capital et la maîtrise des dépenses publiques à travers, notamment, la réduction de l'emploi et des salaires dans le secteur public. M. Bouaziz relève qu'aujourd'hui, la question fondamentale à laquelle il faut apporter des réponses est celle de ramener l'activité économique à son niveau ordinaire, objectif qui ne pourrait être atteint sans rétablir la confiance, «quand on parle de confiance, il s'agit d'abord de rétablir la confiance des partenaires locaux qui entraînera celle des partenaires étrangers», précise-t-il. S'agissant de la situation qui prime, actuellement, dans toutes les régions du pays, marqué par les sit-in et les revendications de toutes sortes, il note qu'il y a des effets à court terme inhérents à la destruction des outils de production et à l'arrêt de la production et qu'un impact plus grave risque de condamner les régions pour des périodes assez longues. Indépendance de la BCT Ajoutant qu'aujourd'hui il y a une volonté politique palpable d'investir dans les régions afin d'édifier une infrastructure économique et sociale de base en espérant un retour sur investissement à travers la création d'entreprises, d'emplois et de revenus ; toutefois, ce qui se passe actuellement dans les régions, précise-t-il, risque de dissuader les investisseurs potentiels. Selon M. Bouaziz, le modèle de développement qui serait le mieux adapté pour relever les défis à venir devrait être basé sur le développement des régions sans pour autant négliger le secteur de l'exportation qui devrait être maintenu au même niveau. Toujours selon M. Bouaziz, certaines questions ne tarderont pas à se poser ; il évoque, entre autres, celle du contrat social qui devrait être revu à la lumière de certains critères notamment la transparence et la confiance. Il souligne, en outre, que durant les vingt dernières années, les négociations salariales ont réussi à se faire dans un cadre stable entre l'Ugtt et l'Utica et qu'aujourd'hui, il n'est plus évident de pouvoir contenir les demandes sociales d'où « l'importance d'avoir une centrale syndicale à la fois forte et crédible ». Notre interlocuteur suggère, dans ce même ordre d'idées, un rapprochement Utica-Ugtt qui saurait permettre de bien gérer la question. Pour ce qui est de l'inflation qui est aujourd'hui d'environ 4,5%, il souligne qu'un maintien de l'inflation actuelle risque de pénaliser davantage les classes les plus pauvres car, comme il le précise, une augmentation des salaires résoudrait uniquement le problème des salariés et pas celui des populations exclues et sans emplois sachant que le problème se situe surtout à ce niveau. Il pense, par ailleurs, que la maîtrise de l'inflation est du ressort de la BCT qui devrait, selon lui, veiller à assurer un équilibre monétaire en toute indépendance du pouvoir politique.