Eros est à l'honneur du côté de l'espace Aire Libre d'El Teatro, à travers l'exposition collective «Sexy art» qui en est à sa troisième édition. Plus de 40 artistes, toutes générations confondues, y présentent leurs travaux et s'expriment, à travers une multitude de techniques et médiums autour d'un thème vieux comme le monde, celui de l'érotisme. L'organisateur du rendez-vous, Mahmoud Chalbi, en parle comme d'«un prétexte subjectif et suggestif, une occasion de tester les limites de la liberté d'expression dans l'imaginaire des artistes plasticiens de par nos contrées encore plus déchirées, depuis la révolution, entre des visions antagonistes du monde alors que notre histoire millénaire nous a déjà ancré dans l'universalité humaniste!». Dans un texte qu'il a écrit pour la première exposition «Sexy art 1», ce dernier s'interroge sur les limites de la représentation, sur la réception de cette catégorie d'art dans notre pays. Il note dans ce sens que «l'érotisme, le sexe suggestif étant au-delà du sacré et du profane, un des fondements de l'artistique et du civilisationnel, en tenant bien compte de nos 3.000 ans d'histoire, des Mille et Une Nuits et du Jardin parfumé, je ne vois pas pourquoi on nous interdirait de dire et de faire sur ce sujet! Expression moderne, voire postmoderne pour nous, émancipatrice des corps et des esprits! Et je ne peux que conclure avec Pierre-Marc de Biasi, auteur de L'histoire de l'érotisme et exposant actuellement à la galerie Mille feuilles de La Marsa, qui avance : “L'érotisme reste peut-être la dernière terra incognita à conquérir et à humaniser, l'ultime frontière derrière quoi s'ouvre l'espace de l'amour fou, l'aventure avec un grand A : l'horizon où doit s'accomplir une forme encore inconnue de notre puissance et de notre liberté, un art d'aimer et du vivre-ensemble qui fera de nous tous des artistes”». Des propos, ô combien, fondés lorsqu'on sait que les représentations érotiques les plus anciennes remontent à la préhistoire à travers des peintures et des gravures des grottes du Paléolithique ainsi que des objets façonnés à l'instar de la fameuse statuette préhistorique baptisée la Vénus de Willendorf. Dans la littérature arabo-musulmane, également, l'érotisme est un sujet que bien des ouvrages ont traité. On peut citer le recueil de contes soufis de Jalal Ud Din Rumi (1207-1273), Mesnevi, sans oublier le fameux ouvrage érotique du Cheikh Nefzaoui, Le jardin parfumé où s'ébattent les plaisirs, que le galeriste a cité dans son texte et qui traite de la sexualité sous ses multiples facettes. A l'instar du kamasutra pour les Indiens, cet ouvrage, rédigé à la demande de Abû Fâris `Abd al-`Azîz al-Mutawakkil, souverain hafside de Tunis, jouit dans le monde arabe d'une réputation bien établie, semblable à celle du célèbre Mille et Une Nuits. C'est nourri de ce legs arabo-musulman, de l'apport de la littérature occidentale, mais aussi de la beauté des rencontres fortuites que l'idée d'installer un rendez-vous annuel autour de ce thème a germé chez Mahmoud Chalbi. Ce dernier note encore dans son texte que l'idée lui vint chez son ami Kaïs Boussen et que c'est ensuite à la vision de la toile debout, dans l'atelier de Omar Bey, que l'idée se confirma. Et voilà que les cimaises de l'espace nous explosent en pleine face, les multiples propositions subjectives de Tarak Khalladi, Michela Sarti, Dali Belkadhi, Moufida Fedhila, Mourad Harbaoui, Leila Shili, Omar Bey, J.J. Arcangelo Capolongo, Mohamed Ben Soltane, Amor Ghdemsi et d'autres encore. Reste à savoir si cela est picturalement «jouissif» ou pas...? Il faut le dire, rien n'égale la force de la suggestion et de l'allusion, et l'érotisme aime, également, ce qui ne se donne pas directement à voir, ce qui est suggestif et révèle ce qui peut se laisser voir. Najet Ghrissi nous en dit long sur cela, à travers sa série «A poele» où elle se joue des mots et de la matière (tôle, métal et verre soufflé). L'éclatement nu d'une grossière figure féminine en «bas-relief» (A poel 2) rend la réplique aux deux sculptures, de la même série, qui mettent à l'honneur les deux sexes. Dalila Yaâkoubi fait également dans la subtilité et la suggestion à travers une bien belle prise de photographie numérique «La forme ne fait pas la poire», où les courbes du succulent fruit dessine un derrière digne d'un Ingres ou d'un Jacques Louis David... Encore une histoire de fruit, ou plutôt de «fruits d'amour» avec les dessins aquarelles de Latifa Abidi. Mohamed Guiga, dans sa toile «Bibi», fait plutôt dans le premier degré pictural, dans la figuration pure et simple et nous dresse d'une manière plate et soporifique, à l'instar des schémas de manuels scientifiques, trois propositions linéaires (acrylique sur toile) de l'organe féminin. Othman Taleb, quant à lui, opte pour la poésie en s'inspirant (peut-être) d'un poème de Paul-Jean Toulet pour nous présenter un excellent diptyque (huile sur toile), «Un peu de soleil dans l'eau froide», où les vibrations aquatiques font écho aux frémissements d'une poitrine féminine. Sexuelle à souhait est la photo numérique «Semence divine», proposée par Wadi Mhiri et qui vient confirmer que l'érotisme et la sensualité prennent leurs forces dans la suggestion. Ici, le photographe capte une bouteille rendant sa dernière goutte... La benjamine des exposants, Sind Chalbi, fait dans la dérision et nous figure, à sa manière et telle qu'elle le conçoit, la situation politique de notre pays à travers son installation «Le doigt bleu pour la dima-cratie». Amateurs du genre ou pas, d'ailleurs, n'hésitez pas à faire un détour du côté d'El Teatro. L'exposition se poursuit jusqu'au 26 mars courant. M. MARROUKI