L'Observatoire arabe des religions et des libertés continue, en partenariat avec la fondation Konrad-Adenauer, le combat qu'il mène, avec persévérance et passion, en vue de faire du dialogue, de la concertation et de l'écoute de l'autre les vertus combattant la violence, le fanatisme et l'extrémisme sous toutes leur formes. Hier, le Pr Mohamed Haddad, président de l'Observatoire, a invité près d'une cinquantaine de personnalités tunisiennes appartenant au monde de la politique, des médias, des finances, de l'enseignement supérieur à un débat ouvert sans ordre du jour préétabli ou de communications savantes sur les questions de l'heure et sur les meilleurs moyens à mettre en œuvre en vue de réussir la deuxième phase de la transition démocratique après avoir relevé avec succès le défi de la première phase de la transition ayant été couronnée par l'élection, le 23 octobre 2011, de l'Assemblée nationale constituante. «Plus d'un an après la révolution du 14 janvier 2011 et près de cinq mois après les élections de la Constituante et face au tumulte que nous vivons sur la scène politique et intellectuelle, l'on est en droit de se poser la question de savoir si les intellectuels ont encore un rôle à jouer et de trouver une réponse rassurante aux institutions occidentales qui ont soutenu la révolution tunisienne et qui expriment actuellement leur méfiance et leur inquiétude à l'égard de la voie qu'elle est en train d'emprunter», a notamment relevé le Pr Haddad, en introduisant le débat. Et commença le jeu des chaises «Au début de la révolution, les revendications se rejoignaient largement et puis commencèrent la théorisation ainsi que le jeu des chaises à occuper. Aujourd'hui, la grande majorité court derrière le pouvoir et rares sont ceux qui s'intéressent à la patrie et à ses intérêts. Et la violence verbale de s'installer, le dialogue et l'écoute de l'autre de disparaître et le discours double pratiqué par le pouvoir de dominer le paysage politique national», martèle Racha Tounsi, communicatrice. Quant à Abdelhaq Zammouri, chercheur et écrivain, il souligne qu'après une année de révolution, «nous nous trouvons en marge de l'histoire et il nous est permis de nous interroger si nous vivons réellement une transition démocratique. Moi, je suis persuadé que nous traversons une étape d'alignement. C'est un constat douloureux. Nous parlons de la religion et nous tournons autour d'elle tout en abandonnant Dieu. Nous évoquons la connaissance et le savoir alors que le nombre des ignorants augmente de jour en jour. Le verbe, nous l'avons transformé en arme pour la mobilisation des foules en vue d'améliorer nos conditions de négociation autour des sièges et des chaises à partager». Y a-t-il un plan visant à détruire le modèle de société tunisien, à travers l'amalgame entretenu intentionnellement entre religion et charia et le manque de vigilance face aux salafistes et les hésitations à appliquer la loi face à leurs comportements de plus en plus arrogants et défiant les autorités qui laissent faire ? Beaucoup parmi les participants au débat sont d'avis, à l'instar de Sana Ltaïef, ingénieur, que «les responsables actuels semblent ne pas savoir quelles sont les priorités de la révolution ainsi que ses objectifs, d'où l'absence de vision partagée quant à l'avenir». Néji Jalloul, enseignant à la faculté des Lettres de La Manouba, revient au retour, en force, du salafisme, sous toutes ses formes et rappelle la prédominance du «discours totalitariste au sein de l'université. Aussi, l'élite qu'elle soit de gauche ou de droite, a-t-elle été éduquée sur la logique de l'exclusion et du refus de l'autre. Il n'y avait pas de volonté de rencontre chez les uns et les autres». Une touche d'optimisme est exprimée toutefois par Nada Bel Saied qui clame, haut et fort, sa fierté «d'être différente des autres et d'appartenir à la Tunisie, contrairement à ceux qui cherchent à faire notre identité tunisienne. Nous ne voulons pas d'une législation qui nous impose un modèle de société étranger à nos habitudes et à notre vision du monde». S'armer de l'esprit critique Chérif Ferjani, chercheur, est convaincu que «la démocratie consiste à accepter les différences, à savoir gérer ces différences et à solutionner les problèmes posés, sans exclusion. La révolution ayant balayé tous les interdits et tabous et libéré ceux qui étaient privés de la parole, il faut accepter impérativement le fait qu'en démocratie, chacun a droit à une voix et à une seule voix. Il est impératif que le Tunisien soit armé d'un esprit critique afin de pouvoir acquérir la capacité de choisir». «La revendication par les salafistes du droit à la violence, précise Khalil Zammiti, sociologue, constitue un phénomène sur les racines duquel il faudrait réfléchir sérieusement. Dans leur logique, les salafistes refusent que la violence soit l'apanage exclusif de l'Etat et par leur comportement qu'on trouve exagéré et excessif, ils essayent de donner un sens à leur vie». De son côté, Ridha Tlili, chercheur universitaire, est convaincu que la question du savoir est une question fondamentale. Il ajoute : «Au cours de la période de transition, il faut avoir le courage de renoncer à tout ce qui est source de conflit, l'essentiel étant de migrer vers une société démocratique où chacun exerce librement son droit à la parole et à l'édification de son avenir».