Ce jour-là, où l'été s'annonce déjà, des abeilles ont investi le petit et coquet bureau de la vice-présidente de l'Assemblée. Autant elle est contrariée par ces intruses, autant, une fois que ces dernières ont été renvoyées à la ruche nichée dans l'arbre d'en face, Mme Laâbidi devient joyeuse et prolixe et nous montre le nouvel arrivage de livres. Elle les montre un par un, en lisant leurs titres. Il est tout de même étonnant que, malgré ses innombrables occupations, la vice-présidente trouve encore le temps de lire : «Je n'ai plus le temps d'écrire, mais celui consacré à la lecture, je le prends à l'arraché. Le dernier ouvrage que j'ai lu est celui du Docteur Salem Al Abeidh sur la question de l'identité, de l'arabité et de l'islam. Remarquable travail, juge-t-elle, il parle de la Tunisie du début du siècle jusqu'à nos jours ». Et qu'en est-il du rythme de travail ? «Notre travail, dit-elle, l'élaboration de la Constitution, n'est pas chose aisée : il est réalisé pour les générations futures et se doit de représenter l'ensemble des Tunisiens dans leur diversité. Cette Constitution, précise-t-elle, doit être une garante des libertés, de la séparation des pouvoirs et un socle pour la pérennisation de cette expérience démocratique qui doit réussir. Nous avons choisi, enchaîne-t-elle, de ne pas avoir pour support une Constitution déjà élaborée par un comité d'experts ou une coalition de partis. Notre point de départ a été une feuille blanche. Les députés du peuple sont en interaction avec la société civile, les experts et les juristes, pour élaborer tous ensemble la Constitution». Nous avons également mis sur le tapis les questions des libertés fondamentales qui agitent les partis de l'opposition et la société civile. Mme Laâbidi répond que la Constitution ne doit pas être un catalogue des libertés, mais une Constitution qui comprend les principes fondateurs, et un miroir des volontés de l'ensemble des Tunisiens. Les points divergents doivent être rétrécis et apparaître au niveau de l'interprétation. «La loi, lorsqu'elle est générale, explique-t-elle, tous peuvent s'y retrouver: c'est le principe du compromis dilatoire. Nous devons d'abord poser les fondamentaux sur lesquels on est tous d'accord». Question d'ambiance «L'ambiance est bonne et les gens sont en train d'apprendre comment cohabiter, malgré leur différence et leur opposition. Néanmoins, pour que les frontières ne soient pas brouillées, il faut qu'il y ait ces confrontations : on se doit à une certaine clarté du propos, voire à une vive contradiction. Cela ne doit pas entacher le niveau personnel de la relation. C'est le cas, sauf dans de très rares occasions. Nous nous asseyons ensemble au restaurant et nous mangeons, et je dois préciser que les affinités ne se définissent pas par parti politique, mais par personne. Je trouve qu'on est en train de développer la relation du respect de l'autre sans laquelle une démocratie ne peut jamais survivre ». Comment dirigez-vous la salle ? «Diriger une assemblée comme la nôtre n'est pas une affaire d'homme ou de femme, mais une affaire d'expérience. Mon parti, Ennahdha, a porté ma candidature à ce poste, non pas pour placer une femme, mais pour mes compétences. Je suis membre dans une assemblée de 55 présidents, une ONG internationale de religion et paix, grâce à mon travail et à celui d'autres femmes. Dans ce temple du conservatisme, on a imposé 18 femmes. Je siège à côté des savants de la Bosnie, du patriarche de l'Eglise orthodoxe russe, et d'autres personnalités influentes du monde». Les gens s'inquiètent pour le respect des échéances : «Nous devons respecter nos échéances, c'est un engagement éthique, nous sommes toujours un pays d'exception. Au dire de tous, c'est un délai serré mais c'est un engagement. En revanche, fixer une date nous mettrait en difficulté, il faut laisser une petite marge de manœuvre qui s'arrêtera au mois de mars 2013. Les prochaines élections législatives sont prévues entre mars et juin. En y mettant l'énergie qu'il faut. Maintenant nous sommes conscients que notre pays n'est pas en mesure de supporter une période transitoire plus longue. Donc, c'est un défi que nous portons tous ensemble», conclut-elle, confiante. Clin d'œil sympathique à notre journal, Mehrezia Laâbidi nous raconte que, dès son jeune âge, elle lisait La Presse. En fait, son père, qui était zeitounien, s'intéressait aux journaux arabophones et son mari, qui était son voisin et dont le père était sadikien, bourguibien de la première heure, ne lisait que La Presse. Les deux enfants s'échangeaient les journaux de leurs pères respectifs. Visiblement, la relation de bon voisinage a bien évolué depuis.