Par Lilia Haj KHELIFA BEN SALEM Je m'étonne un peu de l'excès d'enthousiasme d'une partie du peuple français à l'annonce de la victoire du candidat de gauche aux élections présidentielles. Que s'imaginent tous ces gens qui applaudissent, qui crient et qui manifestent leur joie dans les rues de France et de Navarre ? Que leur vie va changer ? Que leur quotidien va s'améliorer ? Que leurs problèmes vont être résolus du jour au lendemain ? Cela me fait beaucoup penser à tous les espoirs et les attentes qu'a pu susciter en nous, peuple tunisien, la révolution du 14 janvier... Depuis la proclamation des résultats des élections, nous allons de désillusion en désillusion. Il faut dire que le gouvernement en place – dont la légitimité n'est absolument pas contestée, contrairement à sa compétence — fait tout ce qu'il faut pour; petit résumé : Un président par intérim, engoncé dans une fonction totalement vidée de ses prérogatives, en campagne électorale bien avant l'heure et aux frais du contribuable, s'il vous plaît. Comptez 71 millions de dinars pour le budget 2012 de la Présidence de la République, contre 21 millions de dinars pour le budget de l'Assemblée nationale constituante (dans l'enceinte de laquelle il n'y a même pas de connexion wifi !). Avouez que, pour faire du tourisme en burnous d'une ville à l'autre et d'un pays à l'autre (en quelques mois, il a pris l'avion autant, sinon plus souvent que son prédécesseur en 23 ans), ça fait cher la réélection de l'homme qui se voulait «proche du peuple»... Côté exécutif, on n'est pas en reste, et les règles de népotisme ne sont pas tout à fait abandonnées. Un frère de ministre condamné pour pédophilie et libéré suite à une grâce présidentielle ; le gendre d'un président de parti bombardé ministre; une fille de ministre engagée au sein de l'équipe d'une collègue à papa (elle a été remerciée, depuis); un neveu de ministre à qui on octroie une autorisation d'importation de friperie... C'est carrément la panique aux ministères ! Au sein de l'Assemblée nationale constituante, les principes de démocratie — largement prônés par son président, avant son élection — ne sont pas toujours appliqués. Voici un monsieur qui a appris à couper le micro à la barbe des interventions jugées «hors propos» ou trop longues. De plus, il brandit le règlement interne de l'ANC quand cela l'arrange, et l'ignore complètement quand il décide d'appliquer ses propres règles. Il faut dire que parler de «radicalisation à gauche» pour un président dont le parti politique est membre de l'Internationale socialiste (même s'il n'est que parti observateur) donne à réfléchir... Quant à la corruption et aux malversations, force est de constater que rien, absolument rien, n'a changé : au lieu de profiter aux membres d'une famille, les pots-de-vin et autres dessous de table profitent aujourd'hui à un plus grand nombre... Il faut bien un peu de justice sociale... En fait, la Tunisie est victime de l'effet «Canada Dry»... Nous avons le goût, la couleur, la consistance, bref l'apparence de la démocratie, mais nous n'en sommes pas une, loin s'en faut. Malgré tout cela, et pour ne pas avoir l'air de cracher dans la soupe, il faut bien avouer que cette révolution (qui porte bien mal son nom) aura fait souffler un sacré vent de liberté en général, et de liberté d'expression en particulier. Liberté sans laquelle je n'aurais même pas pu oser imaginer coucher ces quelques idées sur le papier sans être inquiétée (enfin, pas encore...).