Philippe Bouchard, chef du service d'endocrinologie à l'hôpital Saint Antoine, à Paris, est une sommité internationale reconnue en ce domaine. Chercheur passionné, il n'en demeure pas moins un grand humaniste, toujours à l'écoute de ses patients qui deviennent tous ses amis. Et si sa notoriété lui fait parcourir l'univers, de conférences en colloques, et d'universités en hôpitaux, il réserve toujours une place à part et une disponibilité particulière pour ses patients amis tunisiens. Aussi ceux-ci suivent-ils toujours attentivement ses travaux de recherche. Récemment, il étonnait le monde médical par la présentation d'un nouveau médicament miracle au joli nom d'Emya. Un médicament qui allait sonner le glas de la chirurgie d'un mal très répandu : le fibrome. Et qui allait lui offrir l'alternative d'un traitement oral sans risques. L'annonce a été reprise par les plus grandes revues médicales. Philippe Bouchard a accepté de répondre à nos questions. Votre découverte révolutionne l'approche du traitement du fibrome. Pouvez-vous nous parler de cette affection dont on dit qu'elle est particulièrement développée en Afrique ? Le fibrome est une tumeur bénigne du muscle utérin. Elle est observée chez pratiquement 40% des femmes, et particulièrement chez les femmes d'origine africaine, on n'a d'ailleurs jamais su pourquoi. Cette tumeur n'est jamais maligne, ne dégénère pas, mais peut se compliquer, gêner une grossesse, ou entraîner des saignements. En France, on pratique 5.000 hystérectomies par an, et 400.000 aux USA. C'est une opération mutilante, d'un coût exorbitant. Jusqu'à présent, les seuls traitements sont chirurgicaux : hystérectomie — ablation de l'utérus — myomectomie—ablation limitée — ou alors une technique compliquée qui consiste en une embolisation d'une artère utérine. Ces techniques marchent, mais peuvent donner lieu à des complications N'y avait-il pas, à ce jour, de traitement médical du fibrome ? Si, il existe un traitement médical qui vise à supprimer la production d'œstrogènes par l'ovaire. Ce traitement, qui vise à supprimer le contrôle hypophysaire de l'ovaire, aboutit à une ménopause médicalement induite, ce qui est inacceptable chez les femmes jeunes. Pour résumer, donc, en dehors de la chirurgie, il n'y a pas de traitement satisfaisant du fibrome et des hémorragies qu'il provoque. La découverte de ce nouveau traitement est donc une véritable révolution pour la santé des femmes. L'histoire actuelle commence il y a 20 ans, avec la découverte des anti-progestérones, utilisées pour les interruptions de grossesses dans tous les pays du monde. On les avait testées sur un petit nombre de femmes qui avaient des fibromes, et cela avait montré d'intéressants résultats sur les saignements, et sur la diminution de la taille du fibrome. Puis cette voie de recherche est tombée aux oubliettes, aucune compagnie pharmaceutique n'ayant souhaité se lancer dans l'utilisation d'un médicament dont l'image était liée à celle de l'avortement. Il a fallu attendre de disposer d'une nouvelle molécule qui ait les mêmes effets sans être abortive. C'est donc l'histoire du développement d'une anti-progestérone de nouvelle génération, l'Acétate D'Ulipristal, qui va être commercialisé sous le nom d'Emya, pour lequel on a fait, en Europe, deux grands essais cliniques qui ont donné des résultats extraordinaires. Cela a été publié par les plus grandes revues médicales, dont le New England Journal of Medicine, qui est la référence suprême. Ces publications reflètent quatre années de recherches ayant abouti à mettre au point un traitement par voie orale capable d'arrêter les saignements utérins en 4 à 5 jours, seul médicament à pouvoir le réaliser, et à réduire de 50% la taille du fibrome. Après un traitement de 3 mois, les résultats perdurent les 6 mois suivants. C'est donc, à ce jour, le meilleur traitement des fibromes compliqués, et le seul capable d'arrêter les saignements. Cela sans aucun effet secondaire sur la prise de poids, la glycémie, le cholestérol ou le fonctionnement des ovaires. Cela sonne le glas de la chirurgie de l'ovaire. Tout à fait : ce nouveau traitement améliore la santé et la qualité de vie des femmes sans leur faire courir le moindre risque. Ce médicament a été développé par une compagnie pharmaceutique française—HRA-Ferma—et développé pour le traitement du fibrome par une firme suisse—Presley. Il est déjà commercialisé en Angleterre, en Allemagne, aux Pays-Bas, et a déjà été approuvé par les 27 pays de l'Union européenne. Il sera, par la suite, vendu aux USA. Il faut reconnaître, ce n'est pas tous les jours que se découvre un médicament aussi efficace pour une maladie aussi fréquente. Je crois que cela arrive une fois tous les dix ans. Alors, oui, c'est bien la fin de la chirurgie du fibrome qui représentait, à ce jour, une énorme masse d'interventions chirurgicales. Quant à vous, professeur Bouchard, quel a été votre rôle dans cette aventure ? Je travaille sur ce médicament depuis les années 80. Ensuite j'ai participé à différentes études en attendant d'avoir le composant idéal, qui n'ait pas d'image négative. Le laboratoire HRA Ferma m'a contacté il y a cinq ans, et je me suis mis au service de la conception des études cliniques à réaliser. Nous avons constitué une équipe de 4 ou 5 médecins, intéressés par ce médicament. Comme ces études sont d'un coût exorbitant, elles ont été réalisées à partir d'une compagnie suisse où il était plus facile de trouver des investisseurs. Cela a été un parfait exemple de recherche qui associe des chercheurs universitaires, et des petites compagnies assez souples pour entreprendre rapidement ce genre de recherche. Cette petite compagnie, qui ne développe que ce seul produit, a d'ailleurs été vendue 550 millions de francs suisses, ce qui démontre le succès de ce médicament. Quel est l'après-Emya ? Nous continuons de travailler sur les extraordinaires potentialités de ce médicament : il nous faut près de cinq ans de travail pour peaufiner ces résultats et l'extension du traitement à long terme. La seconde étape consistera à utiliser ce même produit pour l'endomitriose, ou douleur pelvienne qui touche 7 à 10% des femmes, qui est souvent cause de stérilité, et pour laquelle il y a peu de traitements. La troisième étape me permettra, je l'espère, de traiter les femmes qui ont des problèmes de coagulation, quelles qu'en soient les causes, saignements incoercibles, ou malades en chimiothérapie qui provoque des chutes de plaquettes. La dernière indication serait l'utilisation de ce produit pour la contraception. Enfin, les données préliminaires montrent que ce médicament est protecteur du cancer du sein. C'est vraiment un médicament miracle, et il y a de quoi travailler dessus durant 20 ans.