Timide percée du film d'animation amateur tunisien Avec la proclamation, hier soir, du palmarès, le rideau est tombé sur le 27e festival international du film amateur de Kélibia (Fifak) qui s'est déroulé du 26 août au 1er septembre. Quels ont été les caractéristiques, les thématiques et les genres dominants de cette session? Regard et bilan. Cette édition a été marquée par la présence de deux films tunisiens de qualité dans la compétition internationale : le premier n'est autre que Ould El Faqr («Le fils de la pauvreté») de Nidhal Ben Hssine du club de Hammam Ghzaz qui met en scène le monde spirituel et intime d'un jeune passionné de peinture. Cet opus vaut par une bonne dose d'imagination et de trouvailles exprimée dans un style personnel où domine l'image et non le verbiage (voir La Presse du 31 août). Le mélange entre les techniques de l'image (expérimental et réel), les couleurs intenses, la luminosité, le jeu, la fin ouverte le distingue. Le deuxième film est du genre animation : Kich mametech (Echec et pas mort), signé Nadhir Bouslema et Malek Ferjeni, nous renvoie subtilement à la révolution : sur l'échiquier, les pions se rebellent et «dégagent» les rois, les reines, les tours... Mais ces derniers ne l'entendent pas de cette oreille et ont vite fait de revenir et de reprendre leur place et ce sont les pions qui tombent comme des mouches. Le roi est mort, vive le roi. La révolution a été volée, confisquée, et tout redevient comme avant. Techniquement bien filmé, cet opus est l'un des plus convaincants de cette édition. Pour le reste des films de la compétition internationale, cette session a été également marquée par le cinéma iranien à travers notamment deux opus : Oyan, une fiction d'Esmaël Monsef, qui vaut aussi bien par le contenu que la forme : un facteur transmet l'espoir dans le cœur des habitants d'un quartier en apportant des lettres fictives. C'est là l'enjeu de ce film ciselé, à vrai dire, avec une mise en scène et un jeu d'acteur d'une qualité incontestable. Ruisselant d'humanité. Le second, Cordon omibilical, de Mohamed Reza Majid, met en scène un petit enfant qui se rebelle contre les habitudes du village en suivant ses propres désirs et rêves : devenir médecin. Il faut dire que le cinéma iranien brille par l'imagination débordante et la maîtrise du langage cinématographique d'une grande sobriété. Cette session a, également, véhiculé à travers plusieurs films le problème de la déshumanisation, tel que dans Sans paroles de l'Allemand Adrian Copitzky, une fiction mettant en scène un homme mort seul dans son appartement dans l'indifférence quasi générale : même sa femme, qui l'abandonne, entre, puis ressort de l'appartement sans s'apercevoir qu'il est mort. Waiting ou L'attente des Turcs Kutay Denizler et Burak Çerik ; évoque aussi l'indifférence à sa manière : dans un village isolé, une femme demande en vain de l'aide pour sauver son mari malade. Autre thème caractérisant cette édition : celui de l'absence à travers, notamment, le documentaire algérien. J'ai habité l'absence deux fois de Drifa Mezenner qui raconte l'histoire de son propre frère Sofiane qui a immigré en Angleterre, depuis vingt ans. La réalisation se remémore le passé et évoque le présent fait d'attente (de la mère surtout) de mémoire et de double absence. Nostalgique, émouvant et techniquement maîtrisé, ce film ne laisse pas indifférent. Brutal Romance de l'Arménien Arsh Hambaradz, un film d'animation, a accroché le public grâce à la dérision qui l'imprègne. Une belle surprise : selon la légende, un homme essaye de conquérir le cœur de sa bien-aimée. Mais entre la légende et la réalité il y a un monde, car on peut rencontrer tant de surprises. En fait, il s'agit d'une contre-romance qui se distingue par la qualité de la technique d'animation. La liberté au centre La compétition nationale des films amateurs a été marquée, elle, par les valeurs de la révolution, telle la liberté surtout à travers Fleur de Liberté de Mohamed Khamès Chewad, produit par la maison de jeunes de Kébili. Même si la forme est cinématographiquement modeste, le propos est éloquent. La liberté est également au cœur de Murs de banlieue de Farès Ben Khlifa, du club de Hammam-Lif. Dans ce film d'animation, le réalisateur s'est inspiré des graffitis qui ont envahi les murs du pays après la Révolution. Se met en scène la rencontre de deux personnages à l'opposé l'un de l'autre: un jeune homme moderne et un salafiste. Le réalisateur a utilisé la technique de l'alinéa, entre autres, sur un ton vif et ludique. La souffrance des marginaux est cet autre thème qu'on retrouve au centre de plusieurs films de la compétition nationale dont Gahtour de Hassib Jridi, cinéaste indépendant, qui traitent des problèmes de la mendicité dans la capitale dans une forme conventionnelle. Gahtour, faut-il le rappeler, est l'un des personnages du roman éponyme de Mustapha Fersi. Ce thème des laissés-pour-compte de la société est traité aussi dans Les colporteurs de Abdallah El Fetah Aoun du club El Hamma qui se focalise sur la classe ouvrière de cette ville du Sud qu'est El Hamma. Misère, désespoir et souffrance imprègnent les propos truffés de bon sens, ceux qui témoignent. L'amour de l'art, l'amour tout court sont traités à travers Fusion d'Idriss Jmaïl du club Tahar-Haddad, quand un homme mystérieux s'éprend du portrait d'une jeune femme exposée dans une galerie. L'éblouissemesnt du visiteur s'achève dans la fusion. Une belle chute, façon hymne à l'art. La pollution de la mer à Monastir, Sayada, Lamta, est traitée dans La mer en danger de Ghassen Kacem, qui lance un cri d'alarme pour stopper cette catastrophe écologique due aux rejets des eaux usées, provenant des usines, de la Steg, des stations d'épuration, de l'Onas et de l'envahissement des gravats et des ordures ménagères. Pourtant, les solutions existent pour mettre fin à ce déséquilibre écologique qui a tué la vie marine dans l'indifférence des autorités et de l'Office national de l'assainissement, montré portes closes. Les films d'école : une nette régression de la qualité La section compétition nationale des films d'école comporte six opus; pourtant aucun d'entre eux n'a transcendé la compétition. C'est qu'il existe une nette régression de la qualité des films de cette section en comparaison avec les années précédentes. Ont retenu, quelque peu, notre attention, deux films en tout : Dewamis de Bouhlel Yahiaoui de l'ESceg, un documentaire sur l'avenir des fils de mineurs morts dans les tunnels des mines. Au chômage ils estiment que la région ne tire aucun profit des revenus du phosphate. Leurs témoignages pathétiques se déclinent dans un discours direct, dégoulinant de désespoir. Le deuxième opus est Tunis, je t'aime de Selma Messaâdi de l'Isamm. Il met en scène un jeune homme qui filme Tunis et qui est témoin de plusieurs situations montrant, entre autres, la relation entre les jeunes, les femmes délaissées, les enfants livrés à eux-mêmes. Toutes ces situations éclairent son passé. L'ensemble correctement filmé se laisse voir... Maintenant, ce qui nous a réellement réjouis, au cours de ce 27e Fifak, c'est la percée, si l'on puit dire, du film d'animation tunisien, quasiment absent précédemment, et qui s'est imposé aussi bien dans la compétition internationale avec Kech Mametech que dans la compétition nationale avec Murs de banlieue de F. Ben Khélifa et Evilution de Youssef Bouafif. Voilà un genre qui mérite l'encouragement aussi bien de la Ftca que des écoles de cinéma tant il peut évoluer et s'imposer au plan international. On peut dire, donc, qu'il y eut des moments forts malgré un cru moyen dans l'ensemble.