Le problème des ordures en Tunisie a déjà fait couler beaucoup d'encre, que ce soit pour décrire l'état actuel des choses ou simplement pour exprimer son indignation. L'accumulation des détritus à tous les coins de rue n'est pourtant que l'arbre qui cache la forêt. Les municipalités et les institutions habilitées n'ont pas de stratégie mise en route pour la gestion des déchets, et trouvent actuellement beaucoup de difficultés à résoudre le problème. Dans ces conditions, le rôle de la société civile est primordial pour réduire l'ampleur du phénomène. Explications. Pas assez de décharges où entreposer les déchets, moyens financiers insuffisants, manque en compétences techniques, logistique défaillante, et surtout, pas ou peu d'engagement de la part des citoyens et des décideurs politiques. Ce sont là autant de facteurs qui font qu'aujourd'hui, le pays passe par une situation de crise au niveau de la gestion des déchets, où l'amoncellement des ordures n'en est que le côté visible. La situation s'améliorera, mais ce ne sera pas pour tout de suite. L'Agence nationale de gestion des déchets (Anged) travaille actuellement sur une étude intitulée «revue stratégique des programmes de gestion de déchets». Elle comprendra plusieurs volets : un diagnostic de l'état actuel, les solutions à mettre en place, et les réformes à engager sur les plans juridiques, institutionnels et techniques. À l'issue de cette étude, une stratégie pour une gestion intégrée et durable des déchets sera mise en route. Mais rien ne peut être fait sans sources de financement. Pour Tarek Mrabet, directeur de communication à l'Anged, la question du financement est étroitement liée à la politique engagée en matière d'environnement dans le pays. «Jusque là, les actions menées dans le domaine de l'environnement, et en particulier dans la gestion des déchets, sont conjoncturelles. Très souvent, elles ne font que répondre à une situation de crise. Pour que cela change, il faudrait qu'il y ait une réelle volonté politique. Car tout cela a un coût, mais ce sera au bénéfice des générations futures», explique-t-il. Sensibiliser Bien fermer les sacs poubelles, les sortir à l'heure, et les déposer à un point de collecte qui soit choisi par les voisins, résoudrait déjà 70% du problème des déchets en Tunisie, selon Omar Zouaghi, directeur du district Grand-Tunis à l'Anged. Pour arriver à ce que les habitants d'un même quartier s'organisent, s'entendent sur des règles de conduite et les appliquent, il faudrait d'abord qu'ils soient conscients de l'importance de leurs gestes et de ce qu'ils peuvent encore accomplir. «Afin de sensibiliser les gens et les impliquer dans le processus de gestion des déchets, il faut mener des actions de proximité dont les chefs de file seraient les ONG», affirme M. Mrabet. Pour Taïeb Romdhane, directeur général de l'Anged, les associations ont un grand rôle à jouer en cette période de transition, non seulement pour la sensibilisation mais aussi en tant que force de propositions. Avant la révolution, toutes les démarches dans la gestion des déchets étaient institutionnalisées selon lui. Aujourd'hui, les associations ont la possibilité de participer dans la conception des projets et le choix des actions à mener. La collaboration entre les associations et l'Anged s'annonce de plus en plus intense. Agir en amont Dès octobre prochain, un vaste programme de sensibilisation sera lancé par l'Anged, en collaboration avec l'Agence de coopération allemande (GIZ). Plusieurs associations pourront y participer, pour élaborer et réaliser des programmes à l'échelle régionale et locale. En attendant que les choses changent au niveau des institutions, que les comités de quartier s'organisent, le citoyen peut agir à son niveau, dès maintenant, pour réduire les dégâts. Comment? En réduisant le volume des déchets qu'il produit. Les déchets qui prennent le plus de volume dans nos poubelles sont les matières organiques, 68% du volume total. Ces déchets sont principalement composés de restes de nourriture, de fruits et de légumes. Il faut savoir que la forte proportion des aliments qui se retrouvent dans les ordures est un problème global. Chaque année dans le monde, ce sont 1,3 milliard de tonnes d'aliments qui partent à la poubelle, selon un rapport de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) publié en 2011. Plusieurs causes sont à l'origine du problème, mais elles sont presque toutes liées au comportement du consommateur. Dans ces conditions, il serait bon de rappeler quelques règles de bon sens pour prévenir ce problème. A la maison, il faut bien conserver les aliments pour les garder plus longtemps. Au supermarché, ne pas tomber dans le piège des promotions incitatives du genre «trois pour le prix d'un», qui poussent à acheter plus que ce dont on a besoin. Et dans les restaurants qui offrent des buffets à prix fixe, ne pas remplir abondamment son assiette, pour éviter de la laisser à moitié pleine à la fin du repas. Deuxième composante la plus importante dans nos poubelles : le plastique. Ce dernier occupe 11% du volume global des déchets. Pour réduire ce volume, il convient d'éviter d'acheter les produits à usage unique tels que les rasoirs jetables, et d'acheter les grands conditionnements plutôt que les petits, surtout pour les produits secs. Dernier conseil, prendre son couffin au moment des courses, au lieu d'utiliser les sacs en plastique. Valoriser et recycler les déchets Une fois les déchets produits, il est toujours possible d'agir pour réduire le volume des poubelles, grâce à la valorisation et le recyclage. En Tunisie, il existe des conteneurs spécifiques aux déchets en plastique, dans certains centres commerciaux, grands espaces et quelques plages, mais ils sont trop peu nombreux. Et pour cause, les municipalités sont tout simplement incapables de les gérer. Tous les types de déchets passent par le même circuit et se retrouvent en fin de compte au même endroit. Malgré les 140 sociétés de recyclage, il n'y a toujours pas de système mis en place pour la collecte des déchets recyclables dans les collectivités locales. En 1998, le système Eco-lef a été créé pour réduire la mise en décharge de certains emballages. Sont visés par ce système, les bouteilles en plastique des eaux minérales, des boissons gazeuses et du lait, les pots de yaourt, les sacs d'emballage en plastique, les boîtes en carton composite, les boîtes de conserve en fer blanc et les canettes en aluminium. Ces déchets peuvent être acheminés aux points de collecte de différentes manières. Celle qui fonctionne le plus est la collecte rémunérée, surtout en ce qui concerne les bouteilles en PET, assurée par des collecteurs indépendants. Le travail de ces collecteurs peut être encouragé et facilité par un moyen simple : mettre de côté les déchets recherchés. Le mieux est de le faire d'une manière organisée. L'idée à déjà été adoptée par l'Association de développement et de protection de l'environnement de La Marsa, qui a mis en place des cages où les habitants viennent déposer les bouteilles vides. Parfois, il suffit juste d'avoir un peu d'imagination pour valoriser ces déchets. Les initiatives existent mais sont vraiment rares, à l'instar d'une société éco-responsable franco-tunisienne, Kyata, qui crée des accessoires de mode à partir de bâches en plastique recyclé. Le changement ne peut être réalisé sans l'effort de tous et ce sont les petits gestes de bonne volonté et d'engagement qui font bouger les choses. À un moment ou à un autre, les politiques n'auront pas d'autre choix que de suivre, à moins qu'ils décident de faire la surprise, et mettent dès maintenant les questions environnementales au cœur de leur programme.