Comment les acteurs du paysage politique national évaluent-ils le bilan de l'Assemblée nationale constituante, une année après le démarrage effectif de ses travaux, le 22 novembre 2011 ? La Constituante a-t-elle réussi à accomplir les tâches qui lui sont dévolues, à savoir la rédaction de la future Constitution, le contrôle de l'action gouvernementale et l'adoption des lois ? Quelles missions urgentes devrait-elle assumer en abordant sa deuxième année d'existence ? La Presse a approché certains parmi les protagonistes de la vie politique nationale, qu'ils appartiennent à la Troïka au pouvoir, à l'opposition ou à la société civile, pour sonder leurs réactions et leurs approches en vue de la période à venir. Témoignages. Walid Bennani, vice-président du groupe parlementaire d'Ennahdha à l'ANC La concertation commence à porter ses fruits Nous pouvons dire que le bilan d'une année de la Constitution est positif dans la mesure où nous avons des tâches précises à accomplir : la rédaction de la Constitution, l'examen et l'adoption des lois (telles que la loi relative au budget de l'Etat 2012) et le contrôle de l'action gouvernementale. Parfois, le climat au sein de la Constituante a été un peu tendu au regard des enjeux très importants qui accompagnent l'action de l'ANC. Quant aux tâches que nous nous devons d'accomplir au cours des semaines à venir, je pense que nous allons finaliser le projet de la Constitution et avaliser les lois organiques relatives à la création de l'Isie, du futur Code électoral, de l'Instance de régulation des médias, de l'Instance de vérité et de dignité relative à la justice transitionnelle et de l'instance de la magistrature. Maintenant, tous les constituants sont conscients que la période actuelle est cruciale. D'où les tractations actuellement en cours entre les différents groupes parlementaires en vue d'aboutir à un consensus sur les lois organiques. Il y a un travail de concertation qui commence déjà à porter ses fruits (accord sur certains articles de l'Isie). Il nous reste, toutefois, à mettre en place un agenda précis et consensuel pour arrêter les dates des prochaines élections. Pour ce qui est du rendement des groupes parlementaires au sein de l'ANC, il diffère d'un groupe à l'autre. Mais dans l'ensemble, tous les constituants ont essayé d'apporter un plus pour contribuer à la réussite des travaux de l'ANC. Mohamed Kilani, secrétaire général du Parti socialiste : Un échec sur toute la ligne L'Assemblée nationale constituante a été élue en vue d'élaborer une constitution dans un délai d'une année. Malheureusement, nos constituants n'ont pas été au rendez-vous et ont échoué dans la mission qui leur a été dévolue. Tout simplement, parce qu'ils ont fait de la Constituante une assemblée législative alors qu'ils pouvaient finaliser la Constitution, s'ils avaient choisi d'y intégrer l'essentiel uniquement. Leur plus grand échec concerne l'élaboration de la Constitution dans la mesure où ils ont choisi d'imposer un mode de vie et un système qui n'ont aucun rapport avec les objectifs de la révolution, et ce, aux dépens de la recherche du consensus entre les différentes forces politiques nationales. Leur deuxième échec réside dans l'incapacité manifeste de l'ANC de contrôler la gestion par le gouvernement de la chose publique. Ainsi, la Constituante n'a pas réussi à imposer au gouvernement les choix et les orientations revendiqués par le peuple et s'est contentée d'avaliser les programmes que lui propose la Troïka. A mon avis, la principale tâche que l'ANC a le devoir d'accomplir à l'avenir est bel et bien de parachever la phase transitoire dans les plus brefs délais, de s'engager moralement devant le peuple à finaliser la Constitution le 20 mars prochain et de fixer la date définitive des élections que nous espérons voir se dérouler le 23 octobre 2013. Pour ce faire, nous souhaitons voir l'Isie opérationnelle d'ici fin décembre prochain au plus tard afin d'éviter tout retard dans l'organisation des élections, qu'il soit intentionnel ou non. Skander Bouallagui, constituant d'Al Aridha Achaâbia : Notre combat est d'imposer les droits économiques et sociaux dans le texte de la Constitution Pour une première expérience démocratique dans un pays qui vient à peine de sortir de la dictature et de l'oppression, il faut reconnaître qu'il y a un certain nombre de réussites, notamment au sein des commissions législatives. Ainsi, la commission de la législation générale et celles des droits, des libertés et des relations extérieures ont proposé, à titre d'exemple, des projets de loi assez intéressants comme dans le domaine de la réforme de l'administration. Malheureusement, les ministères qui appellent toujours à la réforme de leurs structures n'ont pas réagi positivement aux propositions de ces deux commissions. Pis encore, aucun parmi les ministères concernés par des réformes urgentes n'a soumis à la Constituante un seul projet de loi dans ce sens. La commission de la réforme administrative et de la lutte contre la malversation n'a pas reçu, tout au long de l'année écoulée, une seule correspondance de la part d'un quelconque ministère alors qu'il est de leur mission essentielle de soumettre leurs propositions à l'ANC. Quant à l'élaboration de la Constitution qui représente la mission fondamentale des constituants, je pense que l'avant-projet de la Constitution constitue un document important puisqu'il a réussi à cerner les grands points de discorde. Seulement, en analysant profondément le contenu de cet avant-projet, l'on découvre que plusieurs parmi ses articles insistent sur les libertés dans leur sens large et ignorent les droits économiques et sociaux. J'ai le sentiment que les constituants donnent l'impression que ce sont eux qui offrent ces libertés au peuple alors qu'en réalité ce sont les Tunisiens qui ont permis à ces constituants d'être là où ils sont et ils en attendent qu'ils insistent, dans la Constitution, sur leurs droits économiques et sociaux. Quant au contrôle de l'action gouvernementale, il est regrettable de souligner que le gouvernement a réussi à dépouiller la Constituante de cette prérogative. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, nous avons vu le chef du gouvernement critiquer le rendement de l'ANC, oubliant qu'il est le secrétaire général du parti ayant remporté le plus grand nombre de sièges à la Constituante et qu'il est en même temps le chef d'un gouvernement de coalition représentant la majorité de la présente assemblée. Pour Al Aridha Achaâbia, notre prochain combat consistera à imposer les droits économiques et sociaux du peuple au sein de la future Constitution. Tahar H'mila, constituant, président du parti «Le décollage vers l'avenir» (en cours de constitution) : Déterminés à rationaliser l'action de l'ANC Quel bilan tirer de la première année des travaux de l'Assemblée nationale constituante ? Pouvions-nous mieux faire que ce qui a été réalisé depuis le 22 novembre 2011 ? Il faut reconnaître que les travaux ont été intenses et que les réunions n'arrêtaient pas et il faut se rendre à l'évidence que le travail au sein d'une Assemblée constituante est plus difficile que celui accompli par un Parlement traditionnel. D'ailleurs, le président de l'ANC l'a souligné dans son allocution, en précisant que les travaux accomplis en une seule année sont équivalents à ceux réalisés par l'ancien parlement durant trois sessions parlementaires. Seulement, j'ai quelques reproches à exprimer concernant le fonctionnement de l'ANC qui a malheureusement perdu certaines de ses prérogatives au profit des deux présidences du gouvernement et de la République. Ces deux dernières ont outrepassé leurs attributions dans les affaires de la remise de Baghdadi Mahmoudi aux autorités libyennes et de l'expulsion de l'ambassadeur syrien à Tunis. Avec ces dépassements commis par la présidence du gouvernement et celle de la République, la voie est balisée au retour de la dictature. La dictature n'est-elle pas, en réalité, le déni par le pouvoir exécutif du pouvoir législatif. Au cours de la prochaine étape, nous sommes appelés à rationaliser davantage l'action de l'ANC de manière à ce qu'elle exerce efficacement son rôle de contrôle de l'action gouvernementale. Kamel Gharbi, président du Centre de la citoyenneté et de la démocratie : Un agenda trop lourd Les travaux de l'ANC ont été marqués par un démarrage très lent puisqu'il a fallu trois mois pour parvenir à la mise en place de la petite Constitution. C'est du temps perdu mais on peut dire que c'est la première fois que les Tunisiens vivent dans la différence ensemble pour consacrer ce terme magique, le consensus. Outre le fait que plusieurs ministres et membres, à la fois, de l'ANC n'ont pas été remplacés à temps, la Constituante n'a pas mis en place une méthodologie de travail avec des délais précis pour la rédaction de la Constitution. La société civile voulait y participer, malheureusement la consultation a été tardive. D'autre part, l'agenda de la Constituante a été bousculé par trois fonctions: Constituante, législative et contrôle de l'action du gouvernement. Il est difficile de concilier les trois exigences et c'est ce qui a obligé la Constituante à prolonger ses travaux malgré le contrat moral qui limitait la rédaction de la Constitution à une année. Au regard de ces contraintes, l'agenda de la Constituante paraît très lourd pour la période à venir, avec l'adoption des lois organiques sur l'Isie, les instances de la justice transitionnelle, de la magistrature, des médias, sans oublier le futur Code électoral. Avec les consultations régionales sur la Constitution qui démarreront prochainement et l'examen du budget de l'Etat pour 2013, j'estime que si l'on arrive à finaliser la Constitution en 2014, ce sera un grand exploit.