Très attendue dans les pays arabes, l'annonce de la liste courte du prix international du roman arabe s'est faite cette année en Tunisie, «en hommage à la création tunisienne et à la révolution tunisienne», comme l'a déclaré la coordinatrice du prix, Fleur Montanaro. La cérémonie a eu lieu jeudi dernier au Théâtre municipal, en présence du ministre de la Culture Mehdi Mabrouk. Jonathan Taylor, le président du conseil du prix international du roman arabe, a rappelé l'idée derrière sa création, en 2007, en partenariat entre la Fondation du «Booker Prize» à Londres et l'instance de la culture et du tourisme d'Abu Dhabi. Cette initiative se positionne en effet comme révélatrice de talents et d'une nouvelle génération dans le monde arabe, parmi les romanciers contemporains. L'encouragement n'est pas seulement financier. La traduction des œuvres dans plusieurs langues et leur distribution dans le monde est l'un des principes pour lequel ce prix a été créé. Ce n'est d'ailleurs pas anodin que les éditeurs y sont un maillon important, puisque ce sont les maisons d'édition qui décident des œuvres à inscrire pour le prix. 133 l'ont été au total, et les six heureux élus de la liste courte viennent par un heureux hasard de pays arabes différents. Oh Marie de l'Irakien Sinan Anton, Moi, elle et les autres de la Libanaise Jenny Fawaz, Pied de Bambou du Koweïtien Saoud Saanoussi, Al kondous du Saoudien Mohamed Hassan Elouan, Mawlana de l'Egyptien Ibrahim Issa et Son Excellence monsieur le ministre de Hassine El Oued sont une invitation à la lecture et à la découverte des cultures spécifiques de certains pays arabes. Elles portent dans le même temps un souci commun du citoyen arabe d'aujourd'hui, en parlant notamment de la question identitaire et de la montée de l'extrémisme religieux. Des sujets aux apparences sérieuses mais dont le traitement ne manque pas d'originalité et d'humour, comme l'ont souligné les membres du jury. Ce sont des œuvres, même si fictionnelles, très ancrées dans la réalité du monde arabe. Un enjeu important Eux aussi ont été la révélation de la cérémonie. Selon les règles du prix littéraire, leurs noms doivent rester secrets jusqu'à cette date. Les cinq membres se sont révélés être l'écrivain et académicien égyptien Jalal Amin- président, le critique et académicien libanais Sobhi Bostani, le Syrien Ali Ferzat, président de l'Union des caricaturistes arabes, la chercheuse et académicienne polonaise Barbara Michalik et la spécialiste en littérature arabe venant d'Algérie, Zahia Salhi. Leur rencontre avec le public, en compagnie de membres du comité directeur du prix, a permis de discuter des critères de sélection. Ces derniers englobent plusieurs considérations, allant du thème, au style et à la structure dramatique de l'œuvre. En somme, tout ce qui fait qu'un roman captive l'attention du lecteur du début jusqu'à la fin, tout en étant écrit dans les règles de l'art. Jonathan Taylor a de plus insisté sur le souci d'indépendance et de transparence du prix international du roman arabe, l'une de ses principales fiertés. Même si les règles du jeu ne plaisent pas à tout le monde — le prix est entre autres critiqué car il passe par les éditeurs et non pas par les écrivains —, le prix est très respecté dans le monde arabe. Au bout de six ans d'existence, c'est devenu une référence. Ce qui explique la présence pendant l'événement de journalistes de différents médias arabes. L'enjeu semble en effet important. En tout cas, la surprise a été au rendez-vous avec l'annonce de cette sélection d'auteurs pour la plupart débutants. «Au Liban, ca va sans doute provoquer de vives réactions de voir que des écrivains connus tels que Elyès Khouri et Hoda Barakat ont été écartés de la liste courte», explique un journaliste du quotidien libanais Al Hayat. Hassine El Oued a honoré la Tunisie avec son roman Son Excellence monsieur le ministre, mais force est de constater que la pénurie de titres maghrébins participants n'est pas liée à une année en particulier. Notre région ne semble point faire le poids devant la dynamique que connaît le roman en langue arabe dans le Machrek, autant du côté des auteurs que des éditeurs. Même si le printemps arabe a commencé de notre côté, le réveil littéraire arabophone du Maghreb tarde à venir. Il faut admettre en même temps que des pays comme le Liban, l'Egypte et la Syrie ont une grande tradition dans le domaine de l'édition. Cela écarte en quelque sorte bon nombre de nos écrivains qui publient à compte d'auteur, mais, une fois de plus, ce sont là les règles du prix. L'accueil d'un tel événement en Tunisie et sa médiatisation peuvent contribuer à changer la donne et à motiver nos plumes. Outre le prestige et la reconnaissance, les six gagnants empochent chacun la somme de 10.000 dollars, et le gagnant final, dont le nom sera révélé en avril à Abu Dhabi, obtient 50.000 dollars de plus. Les auteurs en mal d'éditeur peuvent commencer par participer aux ateliers d'écriture organisés par le comité du prix international du roman arabe, où les œuvres produites sont éditées une fois achevées. De la littérature à la musique Pour adoucir les mœurs et après un long débat, la scène du Théâtre municipal a été investie par la troupe de musique alternative tunisienne «Wajd», une jeune formation très prometteuse, portée par la voix de Marwen Abouda, qui a évolué entre autres avec le groupe «Ajrass» avant de se lancer dans l'aventure «Wajd». «C'est une vision, une interprétation et un espace de création investis par la transposition, l'hybridation, la genèse, la fusion... ancrées dans les multiples expériences musicales qui ont marqué la sphère tunisienne, arabe et méditerranéenne», explique le chanteur. Cela ne se manifeste que trop bien dans les sons inventés ou réinventés par la troupe. Même si elle n'offre, pour le moment, que des reprises d'artistes connus, la découverte reste au rendez-vous grâce à la fusion entre les rythmes de l'Orient et ceux de l'Extrême-Orient. Des jeunes musiciens talentueux assurent ce voyage «vers une musique hors de l'espace et du temps», toujours selon Marwen. Le voyage a commencé avec Cheikh Imam dont les chansons Ahou da elli sar, Edha echams gherbet, El bahr eb yed'ah et Chayed ousourak ont enchanté le public. Le passage au répertoire tunisien a été aussi délectable et surprenant, où la flûte s'est transformée en gasba et le bamboo en tarr (il y avait également le luth, la batterie, la guitare, la basse et le synthétiseur) pour Zaâma ennar de Cheikh Efrit, Nakhlet oued el Bey de Al bahth al moussiqi, Lyoum gueletli et Hobbi yetbaddel de Hédi Jouini. La troupe a enfin salué le public avec un morceau instrumental avant de quitter la scène. Le rideau est ainsi tombé, par la musique, sur la cérémonie d'annonce des gagnants du prix international du roman arabe. La découverte restera inachevée si l'on ne ressent pas le besoin de lire quelques-uns des romans sélectionnés. L'impression, la traduction et la distribution des œuvres leur donnent de la visibilité, mais c'est la lecture qui leur donne une vie!