Par Asma GHARIANI(*) Nous, collectif de pharmaciens hospitalo-universitaires, exerçant nos fonctions dans les hôpitaux de troisième ligne (centres hospitalo-universitaires) et à la faculté de Pharmacie de Monastir, voulons porter à la connaissance de l'opinion publique le drame que nous vivons suite au retrait du caractère universitaire de certains services de pharmacie publié depuis plus d'une année. Les ministères de la Santé et de l'Enseignement supérieur ont procédé à cette mesure d'une façon bipartite, sans consultation des corps pharmaceutiques et des instances académiques concernés et sans en mesurer les conséquences. Ainsi, suite au retrait de la vocation universitaire de huit services de pharmacie de grands hôpitaux et instituts, publiés aux Jort n°40 du 17 mai 2012 et n° 82 du 28 octobre 2011, nous demandons la reconnaissance immédiate et sans conditions ainsi que l'arrêt de toute procédure de retrait de la vocation universitaire des services de pharmacie. Nous estimons que le retrait de la vocation universitaire est non justifié et nous nous interrogeons sur les critères l'ayant motivé. Les services concernés appartiennent à des établissements reconnus de pointe, ayant connu un développement de leur infrastructure et un renforcement de leur équipe, tout en assurant une activité d'encadrement jugée de qualité, ce qui semble s'opposer à l'article 13 de la loi 91-63 de l'année 1991 relatif aux modalités de retrait de la vocation universitaire. Nous portons à votre connaissance les conséquences que cette mesure a sur le secteur pharmaceutique : 1 - Au niveau hospitalier : La destruction des seuls emplois possibles dans le secteur public des pharmaciens hospitalo-universitaires spécialistes en pharmacie hospitalière et industrielle et leur exclusion des établissements publics. Le ministère de la Santé a mis ses salariés exerçant dans ces services dans une situation non réglementaire. Nous rappelons à cet effet que selon l'article premier du décret n°2005-3295, «le corps des pharmaciens hospitalo-universitaires exerce ses fonctions sous le régime du plein temps dans les établissements hospitalo-universitaires et dans les autres services sanitaires à caractère universitaire». Le nombre important auquel a été retirée la vocation universitaire depuis 2011 (huit services, soit 36% des centres et instituts hospitalo-universitaires sur le Grand Tunis) diminue le nombre de centres d'accueil des pharmaciens hospitalo-universitaires. Le blocage de l'évolution de la pharmacie hospitalière et du développement de nouvelles activités de pointe qui améliorent la qualité de prise en charge des patients. Une réforme majeure entamée il y a dix ans conjointement par la faculté de Pharmacie de Monastir et le ministère de la Santé a comme objectif de mettre à niveau la pharmacie hospitalière afin qu'elle réponde aux normes internationales. L'Etat tunisien a ainsi investi dans ses compétences en finançant, en devises, la formation des spécialistes en pharmacie hospitalière dans les meilleures institutions étrangères. Le premier bénéficiaire de ce savoir-faire est l'hôpital public. Il peut réaliser des économies budgétaires non négligeables et améliorer la qualité de prise en charge des patients. Les unités de reconstitution stérile des anticancéreux à l'Institut Salah-Azaïez et de l'alimentation parentérale au Centre de maternité Wassila-Bourguiba en sont des exemples concrets. Actuellement, l'Etat tunisien renie cette formation en limitant volontairement ce champ de travail et met en péril l'investissement dans ce capital humain. La banalisation du retrait de la vocation universitaire et son extension à d'autres services de pharmacie et de médecine. Rappelons que cette procédure constitue un précédent au ministère de la Santé. Nous nous interrogeons sur les critères ayant abouti au retrait de la vocation universitaire. 2 - Au niveau académique : La dégradation des conditions de l'enseignement de la pharmacie dans l'unique faculté de pharmacie du pays. En effet, les pharmaciens hospitalo-universitaires spécialistes en pharmacie hospitalière et industrielle sont les seuls habilités à assurer l'enseignement des sciences pharmaceutiques et du médicament. Du fait de sa diversité, de son importance capitale dans la formation de base des futurs pharmaciens tunisiens et étrangers, et du nombre réduit des enseignants, la pérennité de cet enseignement est directement menacée. Le potentiel humain que la faculté de Pharmacie a pu constituer, non sans peine, grâce à cette réforme, pourra difficilement se reconstituer avant une dizaine d'années. L'enseignement de la pharmacie étant menacé, les fondements mêmes du secteur pharmaceutique vont vers l'éclatement inéluctable. Nos instances académiques n'ont pas été consultées ou averties de cette procédure. Face à ce drame qui touche tant les enseignants que l'avenir direct du secteur pharmaceutique tunisien, le conseil scientifique de la faculté de Pharmacie de Monastir a tiré la sonnette d'alarme à plusieurs reprises. Il n'hésitera pas à démissionner en bloc, comme il l'a annoncé à deux reprises, en exprimant son désaccord. L'inertie et l'indifférence des ministères de tutelle ont été jusqu'à aujourd'hui la seule «position officielle». Aucune mesure concrète n'a été prise à part des promesses sans suite. Nous faisons porter la responsabilité entière aux ministères de la Santé et de l'Enseignement supérieur, cosignataires de ces décrets, de l'impasse dans laquelle nous nous trouvons. Malheureusement, nous ne pouvons en conclure que de la légèreté avec laquelle les autorités traitent ce dossier. La reconnaissance de la vocation universitaire des services de pharmacie hospitalière est plus que jamais urgente. La banalisation de cette mesure doit s'arrêter. Les autorités devront tirer au clair leur position par rapport à l'enseignement de la pharmacie et en assumer toutes les conséquences. Il est vain d'appeler à la promotion du secteur pharmaceutique qui inclut une industrie à forte valeur ajoutée, la pharmacie hospitalière, un des piliers de la prise en charge de la santé du citoyen, alors qu'en contrepartie, l'enseignement de la pharmacie en Tunisie est saboté et son excellence dévalorisée. Les pharmaciens hospitalo-universitaires ont toujours assumé leur devoir envers leurs étudiants, les patients et la patrie. Ils sont un des rares corps à assurer une double activité, hospitalière et universitaire, qui les amène à faire des déplacements fréquents de plus de 300km par jour sans s'en plaindre et sans aucune compensation. Au lendemain de la révolution et malgré le climat d'insécurité, ils ont assuré la réussite de l'année universitaire. Le sens du devoir, l'abnégation et la qualité de notre travail ont toujours été notre motivation. Nous demandons à assurer l'avenir du secteur, pour le bien de la santé du citoyen et pour la prospérité de notre Tunisie. Pour un collectif d'enseignants hospitalo-universitaires de la faculté de Pharmacie de Monastir *(Maître de conférences agrégé (MCA) en pharmacie)