«Quand on modifie le top management de la banque publique, on s'attend à une cascade de modifications pour s'adapter à la nouvelle manière de gérer», souligne M. Gonnet. Un système bancaire performant peut générer jusqu'à deux points de croissance. De même, il est en mesure d'assurer une distribution efficace des fonds aux secteurs les plus porteurs qui généreraient à leur tour de la croissance. Un cercle vertueux. Et c'est dans cette perspective que les performances du système bancaire tunisien, notamment sa composante publique, pourraient intéresser les bailleurs de fonds internationaux. En effet, pour garantir ce cercle vertueux, la Banque mondiale et le FMI ont effectué plusieurs missions d'analyse complète des forces et des faiblesses des secteurs bancaires et financiers dans plusieurs régions du monde. Pour connaître l'avis de la Banque mondiale sur le devenir des banques publiques tunisiennes, M. Laurent Gonnet, senior spécialiste du secteur financier de la Banque mondiale, a suggéré quelques idées. Le financier n'avance pas de solution figée pour les banques publiques, mais il soutient l'approche du gouvernement, selon laquelle ces banques feraient l'objet de missions d'audit. «Les autorités tunisiennes ont besoin d'une estimation de la qualité réelle des crédits, de la valeur réelle des garanties ainsi que des forces et des faiblesses des trois banques publiques», estime-t-il. La BM, pour sa part, assurerait une mission d'assistance technique en présentant un panorama des expériences étrangères en matière de restructuration des banques publiques. Dans son analyse, l'expert n'a pas manqué de souligner que, dans tous les scénarios possibles, on doit tenir compte des dysfonctionnements dans les banques publiques, dont certains sont communs avec leurs concurrentes privées. «Comme une entreprise publique, les banques font appel à des responsables de la fonction publique», rappelle-t-il. Et d'ajouter : «Il est opportun d'associer aux CA des compétences nouvelles pour adopter un nouveau mode de pilotage et de gouvernance». En d'autres termes, il recommande de s'entourer de compétences plus fines ayant développé des expériences significatives dans le secteur privé. «Loin de privatiser les banques, il s'agit de constituer un conseil de professionnels pour apporter un plus dans la gouvernance de la banque», explique-t-il. C'est au niveau du rendement de ce conseil que notre interlocuteur remarque une différence fondamentale avec les banques privées. Et c'est aussi l'un des grands chantiers de la restructuration d'une banque publique. «Quand on modifie le top management de la banque publique, on s'attend à une cascade de modifications pour s'adapter à la nouvelle manière de gérer», souligne-t-il. Donc, les changements en haut de la hiérarchie sont de nature à faciliter tout plan de restructuration. Toujours au top management, le financier déplore la lenteur du processus de prise de décision. En effet, le conseil d'administration est alourdi par le recours quasi systématique au ministère des Finances pour avaliser les décisions. «Dans quelle situation on met ces administrateurs si les décisions sont prises par une tierce partie?», s'interroge-t-il. Sur le plan technique, les banques publiques souffrent d'une gestion archaïque, voire contreproductive. «Sans système de notification des risques, on ne sait pas où on navigue. Et il est difficile de donner le crédit au bon taux», illustre-t-il en précisant que c'est l'un des plus importants décalages par rapport au secteur privé. «Au final, le choix du client et plus tard la surveillance des crédits seraient forcément moins bons que ceux des banques privées», ajoute-t-il. Ce qui explique, en partie, le volume de créances douteuses dans le secteur public. Egalement, un système d'information moderne figure parmi les axes de la restructuration. «Tout bonnement dans les banques publiques, cela n'a jamais été mis en place», remarque-t-il. Et d'expliquer : «Aucune des banques publiques n'a recruté un administrateur qui s'y connaisse et qui assure le pilotage du chantier de modernisation». S'agissant de la fusion des banques publiques, il réagit: «Fusionner les banques ferait fusionner les problèmes». La fusion mécanique n'est pas en mesure d'apporter des solutions aux banques publiques. «C'est le changement de mode de gouvernance qui ferait découler tous les autres changements projetés», insiste-t-il. Dans cette lignée, les banques seraient dotées de mécanismes de gestion efficace et de structures de gouvernance performantes. De même, la gestion du personnel serait basée sur les performances, «notamment la rémunération à concurrence de la contribution», illustre-t-il. La restructuration s'impose Plusieurs indicateurs témoignent d'une situation préoccupante, à savoir le niveau élevé des créances douteuses et les enveloppes de refinancement des banques. Pour le premier indicateur, la BCT l'estime à près de 13%. Et ce chiffre n'a pas évolué depuis la révolution. «Car au lendemain de la révolution, la BCT a émis une circulaire, très contestée par le FMI, qui offre la possibilité aux banques d'inscrire dans les encours sains les crédits à restructurer», explique-t-il. Il est vrai que ces crédits ne sont ni sains ni douteux mais vont évoluer vers l'un de ces sens, «mais on a besoin d'estimer la taille de ces crédits», souligne M. Gonnet. Le FMI l'a estimé à 20%, l'année dernière. «Même plus aujourd'hui », renchérit-il. Mais il y a quand même une limite. Quand les créances de banques augmentent, explique-t-il, on aura de moins en moins d'actifs productifs, de moins en moins de collectes d'intérêt. Et donc, les banques se trouveraient à court de liquidités pour payer leurs créanciers, les déposants, les actionnaires... «On considère qu'à 30% de créances douteuses, les banques sont virtuellement en impayé», prévient M. Gonnet. Pour le deuxième critère préoccupant, le niveau de refinancement des banques a battu plusieurs records. Pour retrouver de la liquidité, elles demandent à la BCT de les refinancer en avançant des garanties. A 3 milliards de refinancement, la BCT court des risques élevés. Actuellement, les banques sont en manque de liquidités. D'une part, elles ont prêté pour sauver les entreprises. Et de l'autre, les déposants sont moins nombreux.