Par Dr Moncef Guen Maintenant que l'on commence à voir un peu le bout du tunnel politique avec les textes votés par l'Assemblée nationale constituante, il est important de commencer à s'attaquer aux problèmes les plus urgents de l'économie nationale. Cela coïncide heureusement avec la finalisation de l'accord stand by du Fonds monétaire international qui se base sur un programme de redressement aux niveaux économique, financier et social. Dans ce cadre, quatre chantiers me paraissent les plus urgents, autrement dit devant être mis en œuvre immédiatement pour rattraper le temps perdu ces deux dernières années. Ce n'est pas à dire que les autres problèmes ne sont pas importants et devraient être laissés de côté mais l'urgence impose une priorité à ces chantiers parce que le retard pris jusqu'ici va encore, si l'on ne fait rien, les aggraver au point du non-retour. Le premier de ces chantiers est le bassin minier. La Compagnie des phosphates de Gafsa et le Groupe chimique de Tunisie sont au bord de la faillite, à cause des grèves et des sit in qui empêchent les opérations d'extraction, de transformation et d'exportation du minerai. Sous la rubrique «phosphates et autres minerais» la Tunisie a exporté en 2010 plus de 3 millions de tonnes pour une valeur de 146 millions de dinars, des engrais de presque 2 millions de tonnes pour une valeur de 1,164 milliard de dinars et des produits chimiques de 1,7 million de tonnes pour une valeur de 953 millions de dinars. En 2011, les exportations de phosphates se sont élevées seulement à 1,9 million de tonnes pour une valeur de 85 millions de dinars, celles des engrais à 841 mille tonnes pour une valeur de 663 millions de dinars et celles des produits chimiques à 949 mille tonnes pour une valeur de 676 millions de dinars. Les chiffres de 2012 indiquent une chute brutale à un tonnage total de 2,5 millions. Il s'agit là d'une perte de devises considérable presque égale à tous les transferts de la main-d'œuvre tunisienne vivant à l'étranger. Le manque à gagner budgétaire est lui aussi colossal. Il est indispensable que le gouvernement accorde l'attention la plus urgente à ce problème. La solution est double : lancer une programme garantissant l'emploi d'au moins cent jours de travail par an à tout demandeur d'emploi dans les zones rurales de la région et mobiliser l'intervention de l'Ugtt comme facilitateur d'un dialogue constructif entre la direction de la Compagnie et les travailleurs. Le deuxième chantier est l'investissement public. Cet investissement a été médiocre en 2011 et 2012. Le taux de réalisation des investissements de développement régional sous la responsabilité directe du ministère a été aussi faible que 4%. Les grands projets se réalisent à un rythme de tortue. J'ai souvent suggéré la création d'une Direction des grands projets au sein de la primature, étant donné les faiblesses institutionnelles au niveau des ministères, laissant à ces derniers l'exécution des projets de petite et moyenne envergure. Quand va-t-on entendre raison ? Le troisième chantier est la lutte contre l'inflation qui est un phénomène essentiellement monétaire. Le contrôle des prix a une utilité très limitée. D'abord, il décourage la production et donc l'offre. Ensuite, il peut aboutir à la disparition des produits sur les marchés officiels et la création de marchés parallèles ou marchés noirs. Seule une politique monétaire prudente peut juguler l'inflation. La Banque centrale a déjà relevé le taux du marché monétaire de 3.05 % à 4,7%. Cependant tant que les banques ne sont pas assainies, elles auront toujours recours au marché monétaire avec des injections importantes de liquidités. D'où la nécessité de procéder à des tests de stress sur les banques pour les amener à se recapitaliser le plus tôt possible. Les dotations budgétaires devraient être prévues pour commencer cette recapitalisation des banques publiques qui sont le plus lourdement handicapées. Le quatrième chantier est le budget qui doit être remanié par une loi rectificative avec son corollaire de réforme fiscale, d'introduction du nouveau Code des investissements, de révision des subventions et des transferts cash aux familles nécessiteuses. Un autre corollaire, soulevé par le ministre des Affaires sociales, est le problème des caisses de retraites dont la situation financière est alarmante. On les a laissées procéder à des investissements douteux et donner des crédits à la consommation sans contrôle du ministère de tutelle et de la Banque centrale. Il faudra maintenant tenir le taureau par les cornes et procéder soit à l'augmentation des cotisations (ce qui est difficile dans les circonstances actuelles) soit au relèvement de l'âge de la retraite au moins dans la fonction publique. Si le gouvernement actuel peut lancer ces chantiers le plus tôt possible, il aura contribué, malgré son jeune âge, à donner une dynamique salutaire à l'économie nationale.