L'attitude affichée hier par M. Samir Dilou, ministre des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle, est symptomatique. Enoncée lors d'un point de presse, cette attitude se résume en trois points fondamentaux : 1- Le gouvernement n'adopte point la politique du deux poids, deux mesures dans le traitement des enfreintes à la loi et du refus de se conformer aux autorités. 2- Tout bras de fer en vue de faire plier l'Etat est vain. Son auteur finira bien par le regretter. 3- Les Tunisiens ne sont guère des infidèles et la Tunisie n'a pas besoin d'être islamisée de nouveau. Ces affirmations ont lieu en marge des heurts avec les partisans du mouvement dit Ansar Echaria le week-end dernier. Elles revêtent des significations particulières. Elles expliquent la fermeté sécuritaire des autorités dans la riposte aux groupuscules du mouvement dit Ansar Echaria. Jusqu'ici, des voix se sont élevées pour stigmatiser le laxisme des autorités face aux groupuscules extrémistes religieux. A les entendre, cela tranche net avec le tout répressif campé le 9 avril 2012 face aux mouvances modernistes et les représentants de la société civile. Il faut dire que les événements sanglants de l'été dernier (Abdelliyya) et l'attaque de l'ambassade américaine le 14 septembre 2012 avaient annoncé la couleur. Peu de temps après survenaient le lynchage à mort de Lotfi Naguedh et la répression féroce du soulèvement à Siliana. L'attentat meurtrier contre le leader de la gauche radicale, Chokri Belaïd, a accusé la tendance funeste. Dans les différents cas de figure, des gens à droite du mouvement Ennahdha avaient agi en toute impunité. Et cela faisait grincer des dents. A en croire que les autorités s'empressent de contrer frontalement les mouvements civiques tout en fermant les yeux face aux groupuscules maximalistes de droite. Finalement, les heurts avec les mouvements extrémistes religieux ont été inévitables. Le sursaut populaire massif, civil et civique, au lendemain immédiat de l'assassinat de Chokri Belaïd y a été pour beaucoup. La découverte, accidentelle, du dépôt d'armes à Douar Hicher a enclenché une dynamique en spirale. Elle a fini par révéler les tentacules d'un réseau jusque-là soupçonné, certes, mais jalousement maintenu dans le secret. Avec l'encerclement des groupuscules armés dans le jebel Chaâmbi, les choses se sont précipitées. L'interdiction par le ministère de l'Intérieur du congrès du mouvement dit Ansar Echaria dimanche à Kairouan a donné lieu à des heurts inouïs. Cela s'est soldé par un grand nombre de victimes, dont un jeune homme tué. Les forces de sécurité, armée et police comprises, ont adopté un profil ferme. Elles n'ont pas tergiversé et ont mis en branle un impressionnant dispositif sécuritaire, à Tunis, Kairouan et différentes villes et régions. Les images des échauffourées ont profondément choqué. Une certaine union sacrée s'est manifestée autour des autorités. Tout plaidait en sa faveur. Les peurs et angoisses citoyennes ont redoublé avec les confrontations militaires au jebel Chaâmbi et les heurts particulièrement violents du week-end. Il en est résulté une adhésion tenace à l'action des forces de sécurité intérieure sur tous les fronts. Ajoutons-y le fait que les mouvements sociaux aient été mis en berne au cours des trois dernières semaines et l'on saisit la portée de cette union sacrée. Elle survient par ailleurs au lendemain de l'aboutissement de la seconde phase du dialogue national organisé sous la houlette de la centrale syndicale, l'Ugtt. Une cinquantaine de partis y ont pris part, notamment ceux de la Troïka gouvernante ainsi que l'opposition, toutes instances comprises. Fort de ce faisceau de faits stimulants, le gouvernement surfe sur la vague de l'adhésion citoyenne. D'ailleurs, les partisans du Front populaire ont déposé, trois jours à l'avance, leur demande d'organisation du meeting d'aujourd'hui à Tunis réclamant la vérité sur l'assassinat de Chokri Belaïd. Ils ont même désigné le service d'ordre approprié et auraient décliné à l'avance les slogans qui seront entonnés. Au ministère de l'Intérieur, on se frotte les mains. Le gouvernement ne fléchit point. Et l'opposition jubile.