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Une révolution dans ses cartons...
Marges spirituelles
Publié dans La Presse de Tunisie le 07 - 06 - 2013

Il n'est rien de pire pour un homme que d'avoir une dette envers quelqu'un et de ne pas le savoir. Si importante que soit cette dette, la connaître permet au moins de se donner le projet de la rembourser un jour. Et si, par un esprit de malhonnêteté, on cherchait à s'y dérober, il resterait encore le pouvoir de revenir à la raison, sachant que la dignité que l'on s'accorde légitimement à soi-même n'est jamais séparable de celle que l'on exige d'autrui. Y compris d'un créancier... Mais quand on l'ignore, cette dette, alors on est dans la situation de celui qui se donne à lui-même une estime alors que cette estime est usurpée. Face à celui qui sait, qui est au courant de la dette, de quoi donc a-t-on l'air ?
C'est à peu près dans cette situation critique que nous sommes tous face à Aristote. Nous avons envers lui une dette, une dette importante, et nous ne le savons pas... Sans doute parce que nous ne le comprenons pas. Tout comme nous ne comprenons pas en quoi consiste précisément la perte subie par la civilisation islamique lorsqu'elle s'est délestée au XIIe siècle de l'apport de la philosophie dans la conception de la vérité... Ce qui nous échappe, c'est que tant que la lumière de la philosophie éclairait la vie intellectuelle à Bagdad, Kairouan ou Cordoue, si peu éclatante qu'elle fût comparée à celle qui avait brillé à Athènes à l'époque d'Aristote, elle suffisait pour empêcher les hommes de religion de se présenter comme les seuls détenteurs de la vérité. La Raison était une instance de vérité aux côtés de la Révélation et, grâce à Dieu, cela servait de rempart à l'ordre théologique et à ses volontés d'hégémonie.
Aristote, ou le recours au « Magister »...
Or, face aux théologiens, Aristote était le « maître ». Ainsi était-il appelé en tout cas par les philosophes arabes, de Farabi à Averroès, et ce titre passera d'ailleurs en Occident après qu'un Siger de Brabant ou un saint Thomas d'Aquin eurent réintroduit la philosophie d'Aristote dans la vie intellectuelle européenne. On sait d'ailleurs que c'est contre cette autorité du « maître » qu'était devenu Aristote dans les universités de Paris, de Bologne ou de Salamanque que s'insurgera plus tard Descartes et qu'il engagera l'arme de son doute méthodique. Mais, en terre d'islam, Aristote était d'abord un recours contre la volonté de domination des théologiens... A vrai dire, il était bien plus que cela. Grâce à lui, Averroès a mis en place le dispositif d'une révolution intellectuelle d'une portée énorme. Révolution qui nourrissait au moins deux objectifs. Le premier consistait à conférer aux philosophes – les hommes de la preuve – le privilège exclusif de l'interprétation des textes de la tradition. Donc de mettre à la retraite les théologiens, dans la mesure où ces derniers n'étaient pas aptes à faire de la raison un usage correct et juste. Le second objectif consistait, lui, à introduire dans la relation entre Raison et Révélation un échange fécond...
Pour mieux comprendre cette tentative, il convient de revenir un peu en arrière. De se souvenir en particulier que, au début de l'époque abbasside, on a assisté à une révolution rationaliste, celle des mutazilites. Ces derniers avaient compris à quel point la Révélation, dans sa forme musulmane, risquait de nuire à l'autorité de la raison dans la gestion des problèmes juridico-politiques de la cité. Ce qui les a poussés à développer, parmi d'autres hypothèses, celle du Coran créé. Façon de conférer au texte un statut qui autorisait la discussion de son contenu.
La révolution mutazilite, comme on le sait, n'a duré qu'un court moment et a donné lieu à un retour vigoureux des théologiens, qui ont rétabli le dogme du Coran incréé et, donc, du caractère immuable de son contenu... Dont les théologiens sont les gardiens !
A l'entreprise qui cherchait à parer aux prétentions excessives de la Révélation répondait celle qui visait à contenir les prétentions de la raison à subordonner la Révélation à ses normes et le danger que celle-ci soit finalement « déconstruite »...
Divin mais « philologue » !
Plus prudents, les philosophes arabes se sont d'abord occupés de s'approprier une autre tradition – la tradition philosophique de la Grèce – sans chercher à concurrencer les théologiens. Il y a eu une sorte de stratégie d'évitement du conflit, qui sied d'ailleurs au naturel philosophique. Bien que l'attaque de l'orthodoxe Ghazali contre les audaces métaphysiques d'un Avicenne montre que ce conflit n'a pas toujours été inexistant. Mais ce qu'il faut surtout relever, et ce en quoi les philosophes se démarquent des Mutazilites, c'est qu'ils ne cherchent pas à remettre en cause la nature divine du texte coranique. On trouve même chez Averroès une attaque farouche contre ceux qui cherchent à prendre à la légère ce statut. En revanche, il y a chez eux l'idée que le texte incréé n'est pas hostile à la raison. Et qu'il a même vocation à appeler pour lui-même une lecture gouvernée par la raison... En d'autres termes, on accentue volontiers le caractère divin du texte, mais on affirme dans le même temps que cette « divinité » du texte n'est pas misologue, qu'elle est au contraire philologue, amie de la raison.
On débouche donc ici sur une lecture à travers laquelle la raison éclaire le sens de la Révélation tandis que la Révélation enracine la raison comme don divin et fait de son usage une réponse au don. Notons que ce deuxième objectif de la révolution averroïste, de nature théorique, a un pendant pratique. En ce sens que la raison engagée face au texte dans un travail d'interprétation est la même raison qui, face à la cité, va se trouver hissée à une œuvre de recherche et d'innovation en vue de dégager les justes solutions aux problèmes qui se posent. Ce qui signifie que, sans reléguer les dispositions inscrites dans le marbre du texte, ces dernières vont se trouver transcendées à la faveur d'une dynamique interprétative de l'action effective...
D'aucuns pourraient se demander à ce stade si cette révolution averroïste, demeurée dans ses cartons, ne tomberait pas sous le coup du reproche qui a été fait un jour à Tariq Ramadan par un certain Jacques Jomier, et qui aurait d'ailleurs pu être fait à bien d'autres « réformistes » de notre époque tardive : moderniser l'islam ou... islamiser la modernité ? Or ce qui prémunit cette révolution averroïste contre un tel reproche, c'est que l'affirmation de l'autorité de la raison, arrimée à la philosophie d'Aristote, projette d'emblée l'islam dans une relation d'ouverture amicale à la différence et d'échange fructueux avec l'apport des autres civilisations.
Payer ses dettes, c'est s'enrichir...
Du point de vue d'Averroès comme de celui des autres philosophes arabes, l'existence d'Aristote est considérée comme une bénédiction de Dieu. Il est celui qui a codifié le bon usage de la raison et qui a montré par l'exemple comment il fallait s'y prendre avec elle pour éviter les sophismes et accéder à une juste connaissance des choses et du monde... Ce qui laisse donc entendre que l'islam peut dans certains cas être tenu d'aller chercher en dehors de lui-même ce qui lui est bénéfique.
En tout cas, il est assez clair que cet échange entre Raison et Révélation n'a pas lieu sous le signe d'une crispation théologique mais, au contraire, sous celui d'une double ouverture : aux autres civilisations et à la connaissance des êtres du vaste monde.
Il se peut bien que, du point de vue de cette révolution dont Averroès nous a laissé le legs, Aristote n'aurait pas toujours eu le même rôle, que son autorité de « magister » se serait peut-être éclipsée comme elle l'a fait en Europe à la suite de Descartes. Il n'en demeure pas moins qu'il aurait eu un rôle majeur dans la modernisation de l'islam...
Mais, dirions-nous, en quoi avons-nous à l'égard d'Aristote une dette puisque la révolution qu'il a rendu possible pour la civilisation de l'islam est une révolution qui, comme nous le disons, est restée enfermée dans ses cartons ? Réponse : cette révolution a eu le mérite de devenir une possibilité dans le monde. Elle ne pouvait pas s'accomplir sans notre engagement. Peut-être d'ailleurs est-il temps que nous reconnaissions nos dettes et que, de la sorte, nous nous donnions la clé qui ouvrira pour cette révolution les champs du réel. Ne dit-on pas que payer ses dettes, c'est s'enrichir? On ajoutera que c'est aussi s'enrichir d'audace, de sainte audace...
Bien sûr, cette révolution est à réinventer aujourd'hui. Nous ne sommes plus à l'époque d'Averroès ! Mais nous ne saurions le faire en ignorant ce qu'avait de génial le coup de poker d'Averroès...


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