Par Azza FILALI Après la déconvenue essuyée aux élections d'octobre 2011, où en sont nos partis démocratiques ? Le paysage qu'ils offrent aujourd'hui est préoccupant à plus d'un titre. Pris un à un, ces partis sont en proie à un malaise qui, chez certains, a abouti au schisme du fait de la contradiction entre la ligne officielle du parti et le comportement de ses dirigeants. L'exemple le plus caricatural est celui du CPR et d'Ettakatol. Même si on met leur alliance avec le parti Ennahdha sur le compte de «l'intérêt suprême du pays» et non de l'ambition personnelle de messieurs Marzouki et Ben Jaâfar, les agissements ultérieurs des deux «présidents» ont fait fi des règles démocratiques les plus élémentaires, entraînant de nombreuses démissions au sein de leurs deux partis. Ceux-ci ont été affaiblis par le départ de personnalités importantes qui sont allées constituer de nouveaux groupes politiques. Le dernier en date est le «Courant démocratique» de Mohamed Abbou, annoncé le 13 juin 2013 et dont le programme est truffé de principes humanistes qui tiennent plus du vœu pieux que d'un projet émanant d'un travail d'analyse et de réflexion. Tout cela contribue à effriter le paysage politique et à désorienter des citoyens déçus aussi bien par la Troïka que par les partis dits «d'opposition». Multiplier les petits partis, transformer le paysage politique en une ruche à alvéoles bourdonnantes contribue-t-il au bien public ? Est-ce ainsi qu'on attire les adhérents ? L'émergence de Nida Tounès et sa montée fulgurante dans les sondages ont modifié le paysage politique. Mais, là aussi, les dissensions au sein du bureau exécutif, (quoique savamment présentées comme fécondes et inévitables) n'en sont pas moins réelles et pèsent sur la ligne officielle du parti et son programme politique et économique, lequel n'a jamais fait l'objet d'une conférence de presse, l'exposant de manière précise. Autre donnée : les grands ralliements se sont avérés fragiles. Certains, telle «l'alliance démocratique» (née en novembre 2012 et unissant progressistes, anciens islamistes, nationalistes, etc.), prônent une concorde civile qui tient plus du conte de fées que du projet réaliste. Autre rassemblement : «Al Joumhouri» vit actuellement une crise entre ses deux partis-phare que sont l'ancien PDP et «Afek Tounès». Officiellement, on a évoqué des divergences dans les choix stratégiques. Il n'en demeure pas moins que les problèmes interindividuels entre deux partis d'âge différent ont dû peser lourdement dans la balance. De plus, ces ralliements forment des hydres à plusieurs têtes. Or il n'est pas toujours évident de faire l'impasse sur son ego lorsqu'on mène une carrière politique. Il est d'ailleurs curieux (et décevant) de constater que les seules personnes ayant officiellement annoncé leur candidature aux prochaines élections présidentielles aient été Béji Caïd Essebsi, de façon ouverte, et Mohamed Néjib Chebbi à demi-mots, deux personnalités de «l'Union pour la Tunisie». En vérité, toutes ces alliances ont été conclues pour équilibrer la balance des pouvoirs vis-à-vis d'Ennahdha, avec, comme perspective, l'enjeu électoral. Mais les mois passés ont prouvé que les élections n'étaient pas un ciment suffisant entre des partis qui ne semblent pas avoir de programme commun en matière de choix économiques et sociaux. C'est que les grands principes démocratiques et la nécessité de faire front, lors de «brumeuses» élections à venir, ne suffisent pas à structurer des partis entre lesquels existent des divergences de fond entre les idées et les personnes. Un exemple simple est la disparité d'appréciation entre Al Joumhouri et Al Jabha Echaâbia (Front populaire) à l'égard du dernier projet de Constitution... L'échec des partis démocratiques aux élections de 2011 résulte aussi de leur absence du travail sur terrain. Les citoyens se souviennent de ceux qui vont vers eux de manière répétée, voire insistante, rôle impeccablement tenu par les fidèles d'Ennahdha. On peut se demander si ce travail sur terrain a été suffisamment entrepris par les partis démocratiques depuis les élections, tant ils investissent d'énergie à répondre aux manœuvres de diversion, toutes ces peaux de bananes que le parti Ennahdha lance régulièrement à ses adversaires pour les occuper et les empêcher d'investir le terrain. Car c'est là que se gagnent (ou se perdent) les élections. Un parti politique n'est rien sans une vaste assise populaire et un programme clair et clairement présenté. Il faut croire que ces deux ingrédients manquent encore à nos partis démocratiques. Plus que la transparence et l'honnêteté des élections à venir, cette donne pèsera lourd sur le résultat des urnes.