Habib Chemli, 29 ans, détenteur d'un BTS en mécanique, n'a pas froid aux yeux, en déclinant son identité, tout en se prêtant volontiers à nos questions. Les yeux mi-clos, la barbe noire abondante, bien bâti sur ses jambes, cet ex-lutteur, qui avait fait ses preuves tant au Club Sportif de la Cité Ettadhamen qu'en équipe nationale, ne semble pas près d'oublier son «cauchemar syrien». Ecoutons-le. «Tout a commencé, se remémore-t-il, au lendemain de la révolution, lorsque j'ai constaté, non sans étonnement, que trois de mes amis les plus intimes ont subitement rejoint les rangs d'Ansar Echaria. Et pourtant, nous formions un quatuor sans histoire. Nous nous rencontrions souvent à la mosquée et au café de notre quartier à la Cité Ettadhamen. Bref, nous n'avions de penchant pour aucun mouvement religieux. Et puis, un jour, mes trois copains se mirent à m'amadouer, en faisant l'éloge d'Ansar Echaria, avant de passer à la vitesse supérieure, en me proposant de les accompagner en Syrie. Et là, croyez-moi, je n'arrive pas jusqu'à nos jours à m'apercevoir comment j'ai accédé à leur vœu». Que de massacres et de carnages ! En deux coups de cuillère à pot, le poisson mord à l'hameçon. Plus question de mécanique et de famille pour Habib qui s'empressa de prendre la route de Damas. «L'un de mes trois compagnons, se souvient-il, fut le... trésorier du groupe. Lui qui portait la somme de deux mille euros que lui a passée l'organisateur de l'expédition dont on n'a plus, depuis, de nouvelles. Comme tous les convois de jihadistes envoyés en Syrie, nous avons emprunté le même itinéraire, à savoir la Libye et la Turquie. Et c'est par les frontières terrestres de ce dernier pays que nous avons atterri dans le territoire syrien». Et c'est là où l'odyssée, la vraie, commença. Les consignes étaient claires: il fallait prendre contact avec un certain «Abou Omar», l'un des caïds désignés par Al Qaïda pour «dispatcher» les nouvelles recrues. Ainsi, Habib and Co se retrouvaient bientôt casés dans un camp d'entraînement aménagé dans le rif de la ville de Homs. C'est là où les nouveaux venus seront soumis, deux semaines durant, à de rudes exercices de maniement d'armes. Des exercices entrecoupés, bien entendu, d'appels à la prière et de cours d'endoctrinement. Une fois le poulain mûri et capable d'aller... tuer, les choses sérieuses commencent. «Au départ, reconnaît Habib, je m'y plaisais, car j'étais là exclusivement pour combattre le régime d'un dictateur dont on a abattu plusieurs soldats. D'ailleurs, nous étions superbement galvanisés par l'idée tant rêvée de marcher un jour sur la capitale, Damas». Que nenni ! Le rêve ne deviendra pas réalité. Pourquoi ? La réponse est signée Habib qui indique que «tout a changé du jour au lendemain. En effet, venus pour lutter contre Bachar Al-Assad, nous nous retrouvions brusquement impliqués, sans crier gare, dans des actes de massacres perpétrés par Al Qaïda contre les mouvements islamistes d'Ansar Echaria et Nosra. Non, je n'oublierai jamais ces scènes de carnages d'une rare atrocité dont furent victimes des musulmans désarmés, ligotés et les yeux bandés. Heureusement que je n'y avais pas participé, et c'est tout à mon honneur». Depuis justement cette découverte horrible et macabre, Habib n'a plus qu'une idée, qu'une obsession : partir. Et il y réussira. «Je n'en pouvais plus, raconte-t-il. Il fallait à tout prix fuir le front, n'en déplaise à nos deux chefs yéménite et égyptien qui étaient sur le qui-vive et prêts à tout faire pour empêcher toute évasion. Grâce à Dieu, la chance m'a souri, lorsqu'ils ont décidé de me transférer, avec un groupe de jihadistes, sur un autre front, celui d'Idba. Et c'est là où j'ai pris mon courage à deux mains pour assurer ma fuite sans même aviser mes trois compatriotes. Car, il fallait absolument sauver sa peau». Et Habib de passer 48 heures de route à pied pour rejoindre la frontière turque. Et avec le peu d'argent qui restait en sa possession, il gagnera la Libye, avant de s'infiltrer clandestinement dans le territoire tunisien. Rideau sur l'odyssée. «Plus jamais ça», jure Habib qui n'en revient pas encore, mais qui a promis de s'assagir, et de ne plus reprendre les armes. «Pour tous les trésors de la terre», assure-t-il.