Férid Ben Yahia revient en Tunisie, comme il le fait assez souvent, pour exposer cette fois-ci à la Maison des arts au Belvédère. Un catalogue a été édité pour marquer l'événement et pour esquisser la démarche actuelle du peintre. Le texte du catalogue comporte une préface du ministère de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine. Il comporte également un texte introductif de Mme Narimane El Kateb-Ben Romdhane. Ce catalogue est un modèle du genre, puisqu'il couvre de la douceur mélodique du malouf une «agricultrice» allaitant son enfant !… Une paysanne aurait sans doute mieux joué ce rôle maternel. Cet intermède léger ne nous fait pourtant pas oublier que Férid Ben Yahia s'est occupé d'exprimer des situations difficiles endurées par les damnés de la terre. Sur le plan artistique, Férid Ben Yahia, autodidacte, a tenu à se familiariser avec toutes les techniques artistiques et avec tous les styles. C'est ainsi qu'il s'essaya au dessin à l'encre de Chine pour la finesse et la fluidité qui lui a permis de croquer des situations humaines (un peu de paix pour l'Afrique) ou un Don Quichotte très impatient d'en découdre avec les moulins à vent. Ce dessin (2002) s'épaissit et se dédouble d'un cerne qui l'alourdit… Férid Ben Yahia tenait également à connaître et à pratiquer les autres genres artistiques comme la céramique d'art et la sculpture. Les travaux exposés aujourd'hui sont réalisés de 2002 à 2010. Ils traduisent un penchant clair du peintre pour la peinture à l'huile et une plus grande sensibilité pour l'expression des problèmes de l'humanité à travers les titres significatifs : «Que faire?, «la mère et l'enfant»… «l'attente», «la paix», «l'espoir lointain»… «le couple». Ces thèmes sont des thèmes généraux; ils ne recourent pas à l'individualisation. L'homme représenté n'est pas un homme spécifique, c'est l'homme universel que le peintre met en scène. Le portrait ne constitue pas le centre des préoccupations du peintre. C'est pour cette raison que les représentations ne se concentrent pas sur le visage ou sur les yeux. Le peintre évite de réduire son travail à une identification capable de favoriser une lecture iconographique non essentielle. L'essentiel se situe au niveau des problèmes que vit toute l'humanité. L'expression chez F. Ben Yahia favorise l'éclosion d'une pensée conceptuelle et une prise de conscience réfléchie pour la paix, la justice… l'amour. La technique picturale de F.Ben Yahia contribue grandement à créer cette ambiance conceptuelle. La composition est, en général, de face, quelquefois de profil, toujours au premier plan et en registre: cette composition en registre occupe la scène sans approfondir exagérément l'espace. En fait, le jeu de l'ombre et de la lumière sont inhérents aux représentations elles-mêmes, elles participent à créer des volumes qui obéissent à une logique cubiste, mais un cubisme particulier fait de rondeurs silencieuses. Là aussi, ce qui est recherché ne semble pas être du côté de l'effet artificiel et léger, mais du côté de la solidité des formes et des volumes toutes en circonvolutions et vrilles. Férid Ben Yahia aboutit à cette massivité picturale qui fait naître la sérénité, qui nous manque tant. Il occupe une place particulière dans le mouvement pictural tunisien, mais nous rappelle quelque peu Pierre Boucherle, ce peintre qui s'est apparenté au cubisme.