Dans l'histoire de l'éducation nationale, les élèves du lycée pilote de Tunis ont manifesté hier devant le Palais du gouvernement. Une cinquantaine d'élèves du lycée pilote Bourguiba à Tunis quitte la cour de l'établissement éducatif en direction de La Kasbah. En tabliers bleus et sacs à dos, ils marchent en un seul mouvement, brandissant banderoles, slogans et drapeaux sous un ciel gris. L'un d'eux se met à hurler : «Ghannouchi...». Il est aussitôt rappelé à l'ordre par ses camarades. «Pas d'insultes, compris ?». Dès leur arrivée hier matin à 8h, ils ont non seulement décidé de sécher les cours mais d'aller aussi crier leur colère, là où les décideurs peuvent mieux les entendre. Ils devaient simplement choisir entre l'avenue Habib-Bourguiba et la Kasbah. Ni l'administration ni les enseignants n'ont eu raison de leur projet, concocté dans l'enceinte du lycée. Deux heures et demie de préparation, de regroupement et de coordination avant de se lancer dans l'arène des grands : « La rue n'est l'apanage de personne. Nous voyons ce qui se passe avec le reste des citoyens. Les agents de sécurité qui devraient nous protéger sont assassinés. Le pouvoir ne fait rien face au terrorisme.. Vers qui se tourner ? Je me sens étranglée », Imen, 15 ans en deuxième année Sciences, essuie des larmes. Submergée par l'émotion, elle se tait et se tourne vers ses amis qui traversent maintenant l'avenue de Paris. « Quel avenir en Tunisie ? » Des passants les suivent du regard. Un monsieur leur demande de retourner en classe plutôt que de faire le clown dans la rue. Sa voix est restée inaudible alors que les lycéens chantent l'hymne national en répétant plusieurs fois le même refrain «Les choses sont très sérieuses. Des morts presque tous les jours. Quel avenir nous prépare la Tunisie ?», s'inquiète Dhia, 18 ans, en 3ème année Maths. L'élite des élèves tunisiens se rassemble en quelques minutes devant le Théâtre municipal pour mieux resserrer les rangs avant de poursuivre son chemin à travers les souks, direction la Kasbah. «Qu'est-ce qu'ils veulent ? Que nous quittions le pays ? Si ma sécurité n'est pas assurée, pourquoi rester ?», se demande Nada, à peine 17 ans. Elle participe à toutes les manifestations depuis la révolution du 14 janvier. «Mes parents me soutiennent», assure-t-elle. Elle manifestait en dehors des études bien évidemment. Ce mercredi pour la première fois, la lycéenne défie son emploi du temps scolaire pour renforcer les rangs des copains et exprimer son chagrin. «Les dernières nouvelles sont tristes. Cela se ressent dans tout le pays. Le sang du Tunisien est précieux et notre mobilisation vaut la peine ». «Nous sommes en danger», estime de son côté Abir. Elle renchérit : «Le dinar chute, la religion est malmenée, la sécurité n'est plus assurée...Il faut faire quelque chose. Ce n'est pas parce que nous sommes lycéens que nous devons rester à l'écart. Protéger la Tunisie est un devoir». « Le terrorisme, débat principal » Les élèves qui ne sont admis au lycée pilote qu'au prix de sacrifices ne cachent pas qu'ils sont désormais prêts à en faire autant pour que la Tunisie « retrouve sa joie d'antan ». « Il faut agir, il faut parler , il faut refuser la destruction du pays », scande Eya, élève en deuxième année. A 16 ans, elle affirme suivre les débats politiques et arrive à mieux comprendre les raisons de la crise politique actuelle. «Les terroristes n'ont pas leur place ici», lance-t-elle au même moment où le groupe entonne le slogan suivant : «ô martyr, nous poursuivrons la résistance pour honorer ton sang». «L'action des élèves et des étudiants fait partie du mouvement populaire», concède Amine, à peine 17 ans. «Nous sommes certes mineurs mais tout à fait conscients de la situation». Il raconte comment ses parents qui « ont voté pour les islamistes respectent ses idées orientées plutôt vers la gauche». «Ces deux dernières années nous ont permis de nous exprimer et d'acquérir des connaissance en politique. La télé, la radio, facebook y ont contribué. Beaucoup de familles sont pluralistes dans leurs choix politiques et cela ne crée pas de problèmes. Seul le terrorisme nous empoisonne la vie. A la maison , c'est devenu le débat principal». Le groupe de lycéens traverse les arcades de la Porte de France tout en brandissant le drapeau tunisien, avec les mêmes slogans. « Un élève a des droits et des devoirs. Le devoir suprême est celui de la patrie. Je suis contente de participer au sit-in car depuis hier, j'ai comme une boule dans la gorge. C'est la raison pour laquelle j'ai refusé d'entrer en classe ce matin », témoigne Mariem, 16 ans. Le drapeau tunisien de quelques mètres ayant traversé avenues et artères arrive à destination : La Kasbah, où les jeunes du lycée Bourguiba sont accueillis sous les applaudissements des autres sit-inneurs, mobilisés depuis le mardi 23. Le sit-in va durer à peine deux heures. Une réussite pour tous les élèves. « Mon pays, c'est ma seule fierté, dit Eya, qui retrouve enfin le sourire. Pour elle, la Tunisie est «un nom propre et le restera à jamais».