Comment sortir de tous les carrés ? Comment être capable de jeter à la poubelle tout nouvel acquis ? Car ce qui est maîtrisé n'est plus un défi intéressant. En plus de sa mère, qui lui a inculqué des habitudes qui n'en sont pas, toutes les femmes qu'Alexandre Jardin a rencontrées dans sa vie sont ses « professeures de métamorphose». Il leur a rendu hommage dans cet ouvrage intitulé « Chaque femme est un roman », le dernier d'une trilogie autobiographique commencée par Le Zubial (consacré à son père) paru en 1997 et suivie du Roman des Jardin (consacré à ses ancêtres) paru en 2007. L'écrivain et cinéaste français pense que les femmes sont des tremplins vers le fabuleux. «Ecrivaines pour la plupart non pratiquantes, elles produisent de la prose intérieure destinée à tromper leurs déceptions et à soigner leurs rêves», écrit-il. Et de poursuivre sa réflexion : «Changent-elles de métier, d'amant ou d'opinion ? C'est d'abord une césure, un rebond de style, un chapitre qui se tourne. Adressent-elles une œillade à un passant ? C'est un best-seller qui débute». L'auteur sait, depuis son plus jeune âge, que chaque femme est un roman et il nous livre ses «études littéraires, blondes et brunes». Mais, comme l'écrivent les critiques, ce n'est pas la peine de lire ce roman d'une traite et d'enchaîner ces portraits de femmes les uns à la suite des autres, portraits en l'occurrence organisés par grande typologie de femmes. On nous conseille de lire «à la carte» ces «caractères à part». Il y a la mythomane sympathique, la paparazzi sans foi ni loi, les visionnaires et les aventurières... Bref, des femmes originales et complexes. Mais Alexandre Jardin revient toujours à l'origine : sa mère. Celle-ci ne tolère pas l'immobilisme et l'une des habitudes qu'elle a inculquées à son fils, c'est la perpétuelle remise en question et la capacité de jeter à la poubelle tout nouvel acquis. Car, d'après elle, ce qui est maîtrisé n'est plus un défi intéressant. La plus belle leçon de vie que la maman Jardin a donné à ses enfants est la suivante : un dimanche d'oisiveté, elle prend une feuille blanche et trace un carré composé de neuf points ; puis elle pose une drôle de question qui va percuter la vie d'Alexandre : «Comment feriez-vous pour réunir ces neuf points en traçant quatre droites, sans soulever votre stylo et sans repasser sur aucun segment ?» Nous nous rappelons avoir déjà essayé ce jeu. Tout comme cela s'est passé avec l'auteur, notre stylo a hésité de point en point et s'est cogné dans ce parallélépipède qui bloque. Après avoir senti que ses enfants sèchent, la maman donne la solution de ce jeu célèbre qui, selon l'écrivain, traîne dans un tas de bouquins sur les processus cognitifs. Elle dit qu'il suffit de prolonger les droites «en sortant du carré». «Sortez du carré les enfants !», crie-t-elle. «Sortez de tous les carrés ! ». Le stylo de la mère sort alors du carré que l'esprit de son fils lui avait enjoint de respecter, sans que personne ne le lui ait demandé, et relie les neuf points en formant quatre droites. C'est à cet instant qu'Alexandre a compris qu'il ne serait plus que flux, discontinuités, refus des mises aux normes et bifurcations. Lorsque la houle des contrariétés l'accable, il revoit son stylo sortir de la figure que son cerveau lui avait imposé par un curieux automatisme. Et il prend toutes les tangentes en osant une ouverture de compas maximale. A vous de jouer.