Le «témoignage» de Hédi Baccouche diffusé par une télévision du Golfe le 10 août 2014 confirme pleinement le titre de notre dernier commentaire déjà publié par La Presse («Enfin quatrième de la bande et second provisoire à ce titre») et rédigé avant cette même diffusion du 10 août. Malgré une thèse saugrenue du témoin selon laquelle Saïda Sassi était derrière la succession de Ben Ali suite à une succession abracadabrante d'évictions déterminée par elle: celles de Allala Laouiti, de Habib Bourguiba Junior, de Mzali le «ouroubi» (arabophile), selon le propre terme de Bourguiba, de Sfar «le sauveur de la tête de Rached Ghannouchi», selon les propos accusateurs du même président. De fait, c'est Ben Ali qui a donné les assurances aux juges-députés chargés cette fois-ci d'éviter la condamnation à mort préparant de la sorte son image —par ailleurs perfide—du «libéral» artisan du «changement» à venir. Il ne restait plus à Baccouche que d'affirmer que Saïda Sassi a été derrière le divorce de Habib et de Wassila. Reconnaissons cependant à Baccouche d'avoir rapporté que Saïda n'a pu dénicher le moindre demi-maroquin pour Najet. Avez-vous reconnu celle-ci? Cherchez-la... La question qu'on touche ici est que Baccouche ne semble point s'offusquer de ce que des femmes sans mandat ou place dans l'Etat —telles que Wassila, Saïda ou Leïla— aient voix au chapitre en matière d'orientation et de nominations politiques. En fait, Bourguiba a dû, lui qui en sait quelque chose en matière de dauphinat, se contenter de la garantie américaine pour sa seule intégrité physique mais à condition de pousser lui-même Ben Ali au pouvoir tout en feignant jusqu'au bout de le pousser à la trappe. De manière à accréditer la fable du «changement». C'est que Bourguiba a cherché à éviter la résidence surveillée et à son secrétaire particulier et à son fils et à sa femme en répudiant celle-ci et en évinçant ceux-là. Et encore, son fils a dû, en décembre 1987, rendre compte à Ben Ali d'une tournée dans le Moyen-Orient comme porte-parole du «changement». Bourguiba a joué ici sa suprême comédie en feignant d'être sur le point d'évincer Ben Ali au profit de Sayah. Dans cette farce, Baccouche était impliqué en même temps que Wassila et des Algériens. Cette comédie a coûté à Sayah dix ans d'une stricte assignation à résidence. A moins que Sayah ait été consentant comme l'ont été avant lui Ben Salah, Torjman, Chéchia et Hassen Kacem. Pourtant, Sayah aurait dû être alerté par le fait que Wassila, depuis Paris, se proposait de l'aider malgré sa répudiation, pour ne pas dire sa «disgrâce» présentée comme telle. Du moins, telle est la version de Baccouche. En réalité, Wassila, comme Saïda Sassi, continue, comme elles l'ont toujours fait, à faire bloc avec Bourguiba: Baccouche n'a-t-il pas précisé que Saïda Sassi agissait en intelligence avec Zarg Layoune, cet inconditionnel hors pair? Autre femme à chercher: Leïla Trabelsi, que Baccouche présente sans fard, si l'on ose dire, comme l'une des maîtresses de Ben Ali. En comparaison, Baccouche se présente comme étant «conservateur» vis-à-vis de la gent féminine ! Mais Ben Ali ne conserva pas Baccouche à son service longtemps. Baccouche a bien été prêté par la bande —où Saïda a simplement supplanté Wassila comme celle-ci a supplanté celle-là après le remariage de Habib— à Ben Ali pour lui servir de second provisoire alors que le même Baccouche surclasse Ben Ali quant au nombre des années, aux diplômes et au «militantisme». Dans ce manège de femmes que l'on doit chercher selon Baccouche, ces femmes ne cherchent qu'à se supplanter entre elles mais, précisons-le, sans aucune prise sur les évènements qui comptent politiquement. Leïla a été bien loin de supplanter Wassila, étant donné la fermeté de son mari. Saïda a supplanté Moufida-Mathilde avant d'être supplantée par Wassila et de supplanter celle-ci plus tard. Mais Moufida, comme Saïda et Wassila, n'a point supplanté Marianne même si elle a supplanté Mathilde. Plus tard, celle-là sera finalement supplantée par l'Oncle Sam sans que Saïda ou Leïla y soit pour quelque chose. En fin de compte, l'atout principal de Baccouche, à savoir son intégration tardive dans la bande des quatre, constitue en même temps son plus grand handicap. De ce fait, cet inconditionnel de Bourguiba a renié ce dernier sans avoir aucune chance de compter durablement pour Ben Ali. Principales qualités de Ben Ali reconnues expressément par Baccouche: le successeur de Bourguiba «a appris aux Etats-Unis à mentir, à propager de fausses nouvelles et à dissimuler ses sentiments». Zine, au moins, n'a pas usurpé sa qualité de premier flic de la sinistre sécurité de «l'Etat» de Bourguiba. Pour conclure, citons deux passages de l'ouvrage de l'historien Mustapha Kraiem publié en France en 2003 par un éditeur proche parent de Sayah (Etat et société dans la Tunisie bourguibienne, Phenomena Editions). Le premier est relatif à Bourguiba (tome 1,p.7): «Le régime bourguibien était traversé par des procès politiques innombrables, ponctués par la torture et que les victimes en vies humaines entre 1955 et 1987 étaient de loin supérieures à toutes les victimes tombées sous la répression de la colonisation» trois quarts de siècle durant. Bourguiba aura ainsi bien mérité de son dauphinat français. Le second concerne la succession de Ben Ali (tome 1,p.8): «La succession s'était opérée au sein même du système, mais dans les recoins les plus sombres et les plus réactionnaires, à savoir le système sécuritaire». Les débris de celui-ci ne sont-ils pas, de nos jours encore, les ennemis jurés du peuple et de la Révolution? Après le 7 novembre, et toujours en novembre 1987, l'éviction de Bourguiba donnait lieu, sur les colonnes de La Presse, à l'allégeance à Ben Ali présentée par chacun des trois restant libres de la bande des quatre: Wassila depuis Paris, Nouira et Ben Salah; Mzali et Sfar étant préalablement évincés, Baccouche a servi de second —provisoire— à Ben Ali. Le militantisme mène à tout, à condition de le renier.