En matière de santé, la Tunisie souffre d'un manque d'infrastructure à l'intérieur. Une situation qui fait l'affaire des privés qui pratiquent des prix et honoraires hors du pouvoir d'achat du commun des citoyens. Le public ne peut en l'état actuel des choses remplir sa mission. Penser à des unités mobiles ne manquerait pas d'apporter la bonne réponse à une question aussi vitale que la santé. La santé, un droit inaliénable, ne l'est plus aujourd'hui dans un pays comme le nôtre qui, à l'orée de l'Indépendance et pendant des années, a investi des centaines de milliards pour la santé de ses citoyens. Des hôpitaux ont été construits partout, des dispensaires ont vu le jour dans les coins les plus reculés du pays, des médecins, des cadres paramédicaux furent formés pour dispenser les soins nécessaires à une population qui vivait pour la plupart dans le dénuement total et qui ne bénéficiait pas de la moindre assistance sanitaire. L'éducation et la santé, à elles seules, accaparaient 50% du budget de l'Etat de cette époque ! Mais, depuis, les temps ont changé et on a vu naître une nouvelle approche qui privilégie l'initiative privée en matière d'infrastructure sanitaire. Le nombre d'hôpitaux publics est resté inchangé depuis la fin des années 1960. Il y a eu certes une amélioration au niveau des équipements et le changement du statut de certains hôpitaux pour devenir des CHU, avec la création de nouvelles facultés de médecine, il y a eu aussi à Tunis la construction du nouvel hôpital militaire et du centre des grands brûlés à Ben Arous, mais est-ce suffisant quand on sait que le nombre de la population a été multiplié par trois depuis 1956 ? Assurément non, d'autant plus que les cliniques privées sont, depuis plus de trois décennies, en pleine expansion et se comptent par centaines, concentrées pour la plupart à Tunis, Sfax, Sousse et dans les villes côtières ! Mais ces cliniques, aussi nombreuses soient-elles avec tous leurs équipements ultramodernes, ne sont pas la solution pour le commun des citoyens qui n'a pas les moyens de payer des millions pour se faire soigner correctement. Les cliniques sont faites pour une classe bien déterminée et pour ces étrangers qui viennent du voisinage pour des soins qu'ils n'ont pas dans leurs pays et qu'on fait payer deux à quatre fois plus cher. Pour la majorité des Tunisiens, se faire soigner pose un réel problème, en raison du coût hors de leur portée, d'autant que les taux de remboursement des différentes étapes d'un traitement et des médicaments ne cadrent pas avec la réalité du marché sanitaire, car il s'agit bien aujourd'hui d'un marché qui épouse toutes les règles régissant les marchés en commençant par les consultations, jusqu'aux interventions et séjours. Dur de se faire soigner! En Tunisie, pays où le pouvoir d'achat pour la majorité écrasante de la population est bas, on pratique souvent des prix dignes des pays les plus riches d'Occident. Les honoraires de nos médecins peuvent aller jusqu'à 70D pour un professeur spécialiste. Pour un généraliste, pas moins de 35D. On peut nous rétorquer que pour en arriver là, ces gens ont bossé dur et ont passé des années et des années d'études. Ceci est vrai, mais il est vrai aussi qu'au moins pour le sept premières années avant la spécialisation, c'est la communauté nationale qui les a pris en charge dans leurs études. Pour cette raison, ils ont un devoir envers cette communauté dont ils doivent s'acquitter en moralisant un tant soit peu leurs honoraires, même si pour certains la pratique de ce métier ne diffère d'aucun autre commerce! Ils sont minoritaires certes, mais ils donnent le mauvais exemple aux autres. Ce qui est valable pour les consultations l'est aussi pour certains laboratoires d'analyses et centres de radio où, semble-t-il, il n'y a pas de barème de tarification. Le traitement par laser, par exemple, pour un problème oculaire peut aller du simple au triple! Quant aux interventions chirurgicales, malheur à celui qui tombe entre les griffes d'un praticien qui ne jure que par l'argent, avec toute sa suite d'infirmiers, d'anesthésistes et autres assistants. Sans compter les frais de séjour où on vous facture le moindre geste et service sans état d'âme aucun. Cela mérite en tout cas une attention particulière de la part des autorités pour voir de près ce qui se passe réellement dans un domaine aussi vital que celui de la santé, pour tenter de redresser la barre et remettre un peu d'ordre là où il le faut. Pour revenir à notre sujet, signalons qu'en se rabattant sur le public — et souvent on n'a pas le moindre choix —, on est face à d'autres tracas. En dépit de la qualité du personnel, des équipements qui n'ont rien à envier à ceux du privé, on risque, pour obtenir un rendez-vous de consultation, d'attendre des semaines. Autre problème qui se pose, celui de l'encombrement dans les hôpitaux, notamment aux services multiples. Par ailleurs, le grand nombre de patients rend difficile la tâche du personnel pour satisfaire les besoins de tous les malades. A cela s'ajoute le fait que les grands hôpitaux sont concentrés dans la capitale et quelques grandes villes, ce qui complique davantage la situation pour les malades de l'intérieur, dont la plupart éprouvent les pires difficultés pour avoir un rendez-vous, pour se déplacer, etc. Un vrai calvaire est souvent vécu par des hommes et des femmes âgés qui n'ont d'autres moyens que le service public afin de se faire soigner, faute de moyens. N'est-ce pas un privilège que de se faire soigner de nos jours dans un pays qui a été le pionnier dans la région en matière de santé ? Tout cela à cause d'une certaine politique qui ne cadre nullement avec les moyens de la majorité des Tunisiens. Une politique qui, en favorisant l'initiative privée, a renoncé à sa mission, celle de toujours donner au service public cette place qu'il doit occuper pour jouer pleinement son rôle de régulateur afin que le privé ne profite pas du vide pour imposer sa loi. L'urgence aujourd'hui est de trouver des palliatifs à une situation qui ne peut plus durer, et ce, en optant pour des unités médicales mobiles qui sont de véritables hôpitaux ambulants qu'on retrouve dans les centres d'accueil des réfugiés et qui sont dotées de toute sorte de matériel, du plus simple au plus sophistiqué, même pour les opérations les plus compliquées. Quatre unités pour l'intérieur du pays rendraient de grands services aux habitants de ces régions oubliées et donneraient matière à réflexion à beaucoup de monde du secteur de la santé.