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«Je m'insurge toujours quand on prétend que le Tunisien ne lit pas»
L'entretien du lundi :Karim Ben Smaïl, éditeur
Publié dans La Presse de Tunisie le 02 - 02 - 2015

Dans le monde de l'édition au Maghreb, les Ben Smaïl font figure de mythe. Mohamed Ben Smaïl -MBS-, père de la dynastie, a été le premier éditeur tunisien après avoir été un des premiers journalistes, premier directeur du tourisme tunisien et le meilleur directeur de la radiotélévision à ce jour, selon ses collaborateurs. Cérès, sa maison d'édition, a aujourd'hui 50 ans, record de longévité absolue. Elle est dirigée depuis 25 ans par Karim Ben Smaïl qui, avec discrétion et efficacité, a su prendre la relève, mais aussi éviter les écueils, redresser la barre, développer, maintenir, tout en respectant l'ADN de la maison.
Editeur, fils d'éditeur, grandi dans le sérail, vous étiez, semble-t-il, programmé pour une carrière dans le livre ?
Absolument pas. J'étais un informaticien passionné, et je poursuivais aux USA des études poussées. Un DEA, puis un Master, soit six ans sur les ordinateurs. De retour en Tunisie, j'ai commencé à travailler à l'Irsit, un institut de pointe créé à l'époque par Bourguiba Jr. J'étais un homme heureux, évoluant dans un environnement stimulant, jusqu'au jour où Moncef Guellaty et Noureddine Ben Kheder, proches collaborateurs de mon père, sont venus me voir pour m'annoncer que les sociétés de mon père, Cérès Editions, Promotion Services (Publicité), Les Imprimeries Réunies, et Déméter (distribution de livres) étaient en grandes difficultés. J'ai bien essayé de croire que je n'étais pas concerné, mais il a bien fallu « donner un coup de main ».
Mohamed Ben Smaïl était pourtant un pionnier visionnaire
Mon père avait, effectivement, beaucoup de talents, une plume d'exception, une vraie vision d'éditeur et il savait s'entourer de gens de qualité. Mais la gestion quotidienne ne l'a jamais intéressé, pas plus que l'aspect financier de son métier.
J'ai donc démissionné, intégré le groupe, et — autour de MBS —nous avons commencé à reconstruire les sociétés. Cela a duré dix années durant lesquelles nous avons réussi à continuer à innover sur le plan éditorial tout en jonglant entre huissiers et banquiers. Nous avons commencé — avec une équipe passionnée et compétente — à remonter la pente financièrement, en nous appuyant sur les seuls acquis de Cérès : son prestige et l'estime et la confiance dont jouissait mon père. Tout cela n'aurait jamais vu le jour sans l'apport essentiel de notre Directeur éditorial, Sami Ménif. Après quelques années à Cérès, il avait quitté pour d'autres horizons. Quand Nouredine Ben Kheder est décédé, je l'ai appelé « Si tu ne reviens pas, j'arrête. Tout seul je ne pourrais pas». Il m'a dit «on essaye 3 mois». Il est encore là !.
Il a dû être extrêmement difficile de « tuer » le père pour pouvoir vous imposer
Il n'a jamais été question de «tuer» le père. Lui avait la vision nécessaire à l'évolution du groupe. Nous étions autour de lui. Et contrairement à beaucoup de patrons de sa génération, il a su déléguer, c'était même une manière de vivre chez lui : responsabiliser les autres. Aujourd'hui, Cérès n'a plus de dettes, Les Imprimeries non plus. Promotions Service (devenu Cérès Conseil) a été leader du secteur dans les années 2000 avant d'être cédée . Ce qui nous a permis de nous recentrer sur notre cœur d'activité, l'édition.
Quel a été votre premier livre en tant qu'éditeur ?
Je ne saurais l'oublier car c'était le premier livre tunisien réalisé sur un MacIntosh que j'avais ramené des USA. Il s'agissait du livre du Docteur Ben Salem, dans la collection «Mémoires» que ce titre inaugurait. Il a fallu introduire la PAO dans une maison qui avait une longue tradition de papier, ciseaux et scotch...
Le métier d'éditeur est-il le même, aujourd'hui, que celui de votre père ?
Le pays n'est plus le même. Et déjà quand j'ai commencé, il y a aujourd'hui 25 ans, c'était la fin d'une époque, celle de mon père, celle des premières décennies de l'Indépendance. L'Etat était alors très présent, les moyens existaient, les institutions publiques, souvent gérées par des collectionneurs, encourageaient les artistes et l'édition de beaux Livres. Aujourd'hui, à quelques rares exceptions près, les institutions ne financent plus de livres d'art, peut-être aussi que leur clientèle a changé. Un exemple récent, l'Isie nous a contactés, lors des dernières élections, ils avaient un budget spécifiquement destiné à l'achat de livres. Ils ont finalement préféré offrir des «coffrets siglés». Quelqu'un, quelque part, a estimé qu'un «coffret siglé» est un meilleur ambassadeur qu'un livre...
Pour résumer la situation, depuis 25 ans que je suis dans l'édition, chaque année se résume à tenir un an de plus. Cela paraît difficile, mais c'est possible et passionnant.
Que faudrait-il pour que, d'éditeur malgré lui, vous deveniez un éditeur heureux ?
C'est fait depuis longtemps ! Cérès m'a permis de vivre une histoire unique dans ce pays, auprès de MBS, mais également aux côtés de Noureddine (Ben Kheder, ndlr), ce que j'estime être un privilège, les gens ne retiennent de lui que son parcours politique, j'ai connu et vécu avec l'autre NBK, un éditeur passionné et passionnant. Durant les dernières années de Ben Ali, ce métier m'a permis de «tenir», dans un environnement délétère, nous recevions à Cérès les femmes et les hommes les plus intéressants, ceux qui continuaient à vivre et à penser. Un éditeur ne peut survivre que si l'environnement est propice. Aucun éditeur au monde ne peut survivre sans soutien. Or, l'édition et le livre sont une nécessité absolue. L'Etat de Ben Ali a soutenu le livre, d'une certaine façon, et les autorités politiques actuelles sont trop instables pour définir leur position par rapport au livre. Le secteur est chancelant, il est temps de s'en occuper.
L'année 2011 a été une période magique, et un pic pour l'édition. Puis les achats de l'Etat se sont taris sur ces deux dernières années. On n'achète plus de livres pour les bibliothèques des écoles et des maisons de culture, et ceci est très inquiétant
Et bien sûr, aucun éditeur ne publie de Beaux Livres en ce moment.
D'une manière générale, la production de livres tunisiens a beaucoup baissé. Il est vrai que le beau livre, coûteux par définition, a pratiquement disparu. En 2014, aucun éditeur n'a eu les moyens d'en publier. En revanche, paradoxe de la révolution, trois superbes livres d'art sur la Tunisie ont été publiés auxquels, hélas, les Tunisiens n'ont pu avoir accès. Le premier a été réalisé par l'Union européenne, bel ouvrage de photos sur Sfax, seuls quelques diplomates et happy fews ont eu le privilège de se le voir offrir, mais il n'a jamais été mis en vente et les Tunisiens ne le verront jamais. Pourtant cet ouvrage a été réalisé sur des fonds de l'UE destinés à la Tunisie post 14 janvier ! Ce type d'opération d'un autre âge me paraît traduire un immense mépris pour le lecteur tunisien. Deux autres livres intéressants sont parus en 2014, qui ne seront jamais proposés en librairie pour diverses raisons, et je le déplore : un important catalogue de la scène artistique contemporaine, édité par la Fondation Benetton ; et un troisième ouvrage, consacré à la véritable révélation artistique tunisienne de ces dernières années, El Seed qui relate un beau périple artistique en Tunisie, et qui lui aussi, pour mille et une mauvaises raisons, n'est pas disponible pour le lecteur «local».
Trois livres de qualité qui auraient pu enrichir l'offre de nos libraires. Dommage.
En 25 ans de carrière, vous avez vécu de grands moments. Quels sont ceux que vous retenez ?
Les grands moments sont pour moi, ceux où on a collé à la réalité en marche, et où on a offert au public tunisien des réactions à chaud sur ce qui se passait dans le monde
C'est ainsi que lors de la 1ère guerre du Golfe, Cérès a publié seulement 3 mois après l'invasion du Koweït «La guerre du Golfe vue par les arabes», le lecteur a répondu présent parce que sa société lui livrait des clefs de compréhension pertinentes. Quelques années après, Georges W. Bush envahit l'Irak, Hans Blix, inspecteur des Nations unies ,s'insurge et publie un pamphlet : «Les Armes introuvables», et nous sommes les premiers dans le monde arabe à en publier la traduction. Je n'oublierai jamais : j'étais dans une rue bruyante, à Paris, quand j'ai pu contacter Hans Blix sur mon portable. Je suis entré dans une laverie, et c'est assis sur une machine à laver que j'ai obtenu son accord verbal. Plus tard, dans une interview à Mosaïque FM, il a déclaré en direct : «La Tunisie n'a pas d'armes de destruction massive, mais des armes de séduction massive». Joli moment !
Autre souvenir : j'achète un jour les droits d'un livre d'un obscur polémiste américain que personne ne connaît en Tunisie, peu en Europe, Michael Moore, en décidant juste de me faire plaisir. Un mois après, son film, «Farenheit 911» remporte la Palme d'Or à Cannes !
Plus «tuniso-tunisien» : j'appelle le 16 janvier 2011, par des circuits compliqués, un dessinateur anonyme, qui signe _Z_. Je lui dis : «Vous m'avez rendu l'espoir durant ces 3 dernières années, je veux vous publier». Il me promet qu'il va me rappeler, mais veut d'abord se renseigner sur nous. Cérès a publié _Z_. Il est toujours anonyme à ce jour, et avec raison puisque aujourd'hui on tire ses collègues à la kalachnikov
Et puis, je voudrais tout de même signaler notre plaisir de voir qu'aujourd'hui, deux femmes proposées pour le gouvernement sont des auteurs Cérès
Bien que les temps aient changé, le livre et le public aussi, respectez-vous toujours la ligne éditoriale fondatrice de Cérès ?
La ligne éditoriale est celle initiée par MBS: le choix de qualité, la parole donnée aux intellectuels, maintenir le cap, et tenir en dépit des difficultés. Il y en a eu, beaucoup, tant du temps de Bourguiba que de celui de Ben Ali. La pire crise que nous ayons vécue a été celle où on nous a envoyé le fisc avec pour mission de nous détruire. Une grosse offensive dont l'écho a dépassé nos frontières. Mon père ne s'est jamais démonté. Il nous a donné la force de résister : «Tout ce qui est excessif est insignifiant, ça passera». Cela a duré 3 ans, nous avons compté nos amis sur les doigts d'une main, je me souviens de Yadh Ben Achour, passant dans mon bureau juste pour me dire «Karim, tenez bon, ils partiront et vous demeurerez !».
Aujourd'hui, depuis peu, nous avons fini de payer ce racket fiscal.
Quant à nos adversaires, où sont-ils ? En fuite ou en résidence surveillée. Ceci dit, nous ne porterons pas plainte.
Le Tunisien ne lit pas, entend-on un peu partout. Pour un «faiseur de livres», c'est un constat difficile à admettre
Je m'insurge toujours quand on prétend cela. C'est faux. Le Tunisien lit ce qui l'intéresse. A l'éditeur de comprendre où va l'intérêt du marché. Les lecteurs sont toujours une minorité, c'est vrai, mais l'effet d'un livre est durable, il passe de main en main et d'une génération à l'autre, il change la société. J'en donne pour seule preuve le livre de Habib Boularès, «Histoire de la Tunisie», qui s'est vendu à près de 10.000 exemplaires, performance absolue pour un livre de texte, en français, de 700 pages, coûtant 26 dinars, c'est-à-dire cher. Voila qui en dit long sur les besoins du lecteur tunisien
Quels sont vos projets d'éditeur qui persiste et signe ?
Avouez que 50 ans d'édition du livre dans le monde arabe est une belle performance, sans doute unique !
Des projets, nous en avons beaucoup. Parlons déjà de ce que nous avons édité cette année 2014 :
Un livre d'Amel Moussa, et Abdelkader Zeghal sur «Ennahdha entre frères musulmans et tunisianité». La version arabe mise à jour du livre dirigé par Samy Ghorbal, «Le syndrome de Siliana». Trois titres pour l'association Beyti. Un livre sur notre patrimoine architectural antique «Me3marouna» signé par des archéologues tunisiens et allemands, et un autre pour accompagner la superbe expo des œuvres de Klee, Macke et Moilliet, on en est déjà au 2e tirage.
Un ouvrage particulier est paru chez nous cette année : lors de ses deux mandats ministériels sous le 1er gouvernement Caied Essebsi, nous avons demandé à Yassine Brahim s'il accepterait qu'on place à ses côtés, pendant 3 mois, une journaliste pour suivre le quotidien d'un jeune ministre fraîchement introduit dans les méandres de la politique et de l'administration, Il a dit oui et le livre vient de paraître. Une telle expérience éditoriale n'est sans doute plus possible.
Quant à l'année 2015, on peut annoncer «Corridors», le livre de photos et textes de Héla Ammar, consacré aux prisons, auxquels elle au accès en tant que membre de deux commissions. Sous sa double casquette de juriste et d'artiste-photographe, Héla Ammar publie un ouvrage socialement important, émouvant et fort. Nous allons également publier une traduction de « Histoire de la Tunisie » de Habib Boularès en arabe, et en anglais.
Et puis, quatre ans après la révolution, après les réactions à vif, quelquefois épidermiques, toujours dans le feu de l'actualité, vient le temps de la réflexion, des analyses, indispensables pour qui veut comprendre les printemps arabes. C'est ainsi que nous inaugurons une collection fondamentale dans l'histoire éditoriale de l'après-révolution, avec quatre titres : «Les carnets de la révolution», de l'anthropologue Mondher Kilani, «Une histoire provisoire de la Révolution Tunisienne», du sociologue Jean Marc Salmon, «Ces nouveaux mots qui font la Tunisie», de nos collègues et amies Olfa Bellhassine et Hédia Baraket, et «La Constituante, une histoire, une chronique, des acteurs» de l'ancien député Selim Abdessalem... Ouvrages lourds et coûteux, «métier de quémandeur !»


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