Sans arbitres, pas de compétition. Le maître mot, c'est le respect. Si la société moderne ne se montre pas capable de prévenir et de combattre la violence sous toutes ses formes, la société du football est appelée, par sa nature d'instrument de fête, par sa volonté d'offrir à ceux qui viennent vers elle une plage de loisir, à ne pas être le reflet de ce que l'on vit partout et chaque jour dans nos activités sociales et professionnelles. Nous pensions qu'au moins le football est différent, qu'il nous propose sans scories ce que nous lui demandons et ce qu'il est capable de nous donner. Mais le fanatisme pourrait tout détruire si nous ne l'étouffons pas dans l'œuf. Après les scènes intolérables de Sousse, de Djerba, que seront nos prochains lendemains de football? En sport, comme partout, on a la mémoire sélective et l'oubli préférentiel. Le football, comme on le vit aujourd'hui, aurait ainsi perdu une partie de son âme et beaucoup de son innocence. Il n'est pas question ici d'instruire le procès généralisé du système tunisien, qui ne le mérite pas et qui a réalisé d'indiscutables progrès, mais c'est le devoir de pointer ce que nous considérons comme des erreurs, des manquements ou des dérives. Il ne s'agit pas, aussi, de suivre le courant des hostilités où baignent les commentaires et les accusations lancées, à tort ou à raison, par les différents intervenants. Simplement, il y a de ces dirigeants et de ces responsables qui s'érigent en protecteur, en paratonnerre au nom de l'intérêt supérieur de leurs clubs, soit l'escamotage du fond par la forme, ou l'occultation du majeur par le mineur. Ils deviennent les catalyseurs d'une inutile paranoïa, le moteur d'une potentielle fébrilité et, au final, l'incarnation d'un dérapage incontrôlé. On se demande, du coup, quels numéros d'illusionnistes, le grand cirque va nous réserver dans les jours à venir. Il serait tellement mieux si ces dirigeants acceptaient le débat d'idées, les questions de fond. Il serait encore mieux s'ils acceptaient de ne pas se cacher derrière les faux arguments et s'ils se décidaient à éclairer l'opinion plutôt que la plonger dans le black-out. Il n'a jamais été prouvé de façon scientifique que les erreurs de l'arbitrage finissent un jour par s'arranger. Tenir une comptabilité sur ce sujet relève d'un exercice de haute voltige. Des erreurs avérées, des matches faussés. Mais les erreurs des joueurs coûtent infiniment plus de points à leurs équipes que les erreurs des arbitres. Les laissés-pour-compte En effet, aucune étude sérieuse n'a jamais été lancée sur ces attaquants qui ratent des buts tout faits, ces gardiens qui se déchirent sur des ballons faciles ou ces défenseurs qui commettent des stupidités dans la surface. On se contente justement d'une certaine ineptie qui consiste à faire supporter à un arbitre l'entière responsabilité d'un résultat. Le problème, c'est qu'avec des caméras partout et des analyses objectives qu'on arrive à déterminer l'implication ou non de l'arbitrage. Les interprétations de tout bord nourrissent les polémiques. Tout est question d'attitudes. Attitudes des présidents, des entraîneurs, des joueurs. Sans arbitres, pas de compétition. Le maître-mot, c'est le respect. Il est indispensable de tirer les enseignements de cette injustice sportive soulignée par le fait de considérer les arbitres comme des boucs émissaires. Mais en même temps, on doit admettre que le sport numéro un et ses compétitions à enjeux grandissimes ne peuvent plus être laissés au pouvoir d'un seul homme et d'un seul sifflet. Il faut trouver les solutions adaptées pour renforcer la crédibilité et l'honneur du football. L'arbitre et ses assistants ont naturellement le droit de commettre des erreurs, mais ils ont aussi le devoir de se comporter dignement sur le terrain. Ils évoluent, cependant, dans un monde de pros sans avoir le statut de professionnel. On se demande ce qui pourrait les aider et on ressort toujours la vidéo. Mais il ne vient à l'esprit de personne de s'interroger sur les exigences du foot d'aujourd'hui. Dans un monde hyperprofessionnalisé, c'est la seule corporation qui ne l'est pas. Un gamin peut s'identifier à un joueur parce que c'est un métier. Pas à un arbitre. Les arbitres demandent aujourd'hui la reconnaissance. Oui, les arbitres commettent des erreurs. Oui, ils manquent parfois de discernement dans l'affirmation de leur autorité. Mais à se fourvoyer dans des polémiques au raz du gazon, joueurs, entraîneurs et dirigeants renvoient une image déplorable. Sans se rendre compte qu'en installant un climat de défiance à l'égard des directeurs de jeu, ils contribuent à fragiliser tout l'édifice. Si la critique systématique de l'arbitrage n'est pas une exclusivité tunisienne, les erreurs de l'arbitrage non plus. Mais en attendant, les acteurs du football tunisien seraient bien inspirés d'élever les débats. Ils s'épargneraient ainsi des polémiques stériles, une dépense d'énergie superflue. Il ne faut pas caricaturer. On doit avancer tous dans le même sens. On aura toujours le droit d'aspirer à un football qui ne soit pas inspiré des polémiques. Alors, régulons et mettons en œuvre correctement la spécificité sportive. Nous avons des instances statutaires, qu'elles soient saisies du sujet, qu'elles réfléchissent. Cela nous inspire beaucoup d'inquiétude sur la façon dont le football est dirigé. Aujourd'hui, toute l'institution est en danger. Dans un monde où les responsables sont minoritaires, les courageux aussi, on doit penser à mettre fin à l'inertie d'un appareil fédéral absent, dépassé par les événements et qui, pour avoir fermé les yeux sur tout ce qui se passe, l'a tacitement autorisé... La priorité serait une vraie réflexion sur la gouvernance du football. Il faut s'interroger sur la place du foot dans la société, sur les rapports entre sport et spirale de résultats, un problème très tunisien qu'il faudra bien exorciser une bonne fois pour toutes.