Par M'hamed JAIBI La cacophonie et les bras de fer qu'ont donné à voir les luttes au sein de la Constituante, puis qui ont caractérisé certains débats de l'Assemblée actuelle, comme cette polémique sans fin autour de la présidence de la Commission des finances n'ont, clairement, depuis l'attaque du Bardo, plus aucune raison d'être ou de perdurer. Face à un terrorisme sauvage déterminé à déstabiliser l'expérience démocratique tunisienne, considérée, à juste titre, comme l'exemple de l'antidote au fanatisme takfiriste — cette folie barbare qui dénature le message coranique pour semer la terreur sanglante et la haine de l'autre —, le peuple tunisien doit et est en mesure de se dresser comme un seul homme, comme une seule femme, avec un seul programme et une seule conception quant au vivre-ensemble républicain, à l'Etat civil, au pluralisme politique, à l'alternance. D'où la nécessité d'écarter le doute et la suspicion dans les rapports entre toutes les forces qui affirment, aujourd'hui, combattre le terrorisme. De la convergence du discours à la remise en cause La nécessaire rupture franche d'avec le takfirisme, représente indubitablement la pierre angulaire d'une réelle unité nationale et d'un consensus effectif dans la lutte sans merci qu'impose désormais le phénomène jihadiste, ses ramifications tentaculaires, ses complicités internes et dans les relations internationales, jusque dans les services de renseignements les plus prestigieux. De sorte que le programme commun de gouvernement que mettent en route Habib Essid et son équipe, ne peut plus faire l'économie d'une clarification idéologique minimale en regard de certains concepts-clés, à l'image du takfirisme et du jihadisme, deux constantes portées par les Frères musulmans égyptiens et que les islamistes tunisiens avaient reprises à leur compte et n'ont, à ce jour, jamais vraiment reniées . L'apaisement du discours d'Ennahdha, qui ombrage un inévitable double langage qu'a bien illustré l'engouement de la masse des nahdhaouis derrière Moncef Marzouki, lors de la présidentielle, ne peut tenir lieu de bouclier vis-à-vis des sympathies éventuelles, voire des complicités ou des retournements d'alliances possibles. Sauf si le mouvement Ennahdha procède sincèrement à des choix stratégiques découlant d'une profonde remise en cause et d'une clarification du débat interne dans le sens de ce que Mourou appelle, depuis le début des années 80 (voir interview de l'hebdomadaire Le Phare, novembre 1981) la «démocratie-islamique», inspirée de la «démocratie-chrétienne» italienne, allemande... Eradiquer et diaboliser le takfirisme Ce que les démocrates modernistes attendent d'Ennahdha (sinon d'une frange d'Ennahdha), c'est de battre en brèche les séquelles du takfirisme qui persistent au sein de larges franges nahdhaouies, et d'éradiquer ainsi toute trace de «jihadisme intellectuel», même implicite, découlant de ce flou idéologique savamment entretenu, de procéder à une révision des fondamentaux idéologiques du mouvement et de procéder à une vaste reconsidération de la stratégie réelle du mouvement, religieuse et politique. En prenant le risque historique d'y laisser les plumes que toute clarification implique : division, scission, formation d'ailes, affaiblissement électoral... Après la voie démocratique..., la démocratie ! En choisissant la voie démocratique au pouvoir, les islamistes tunisiens se sont réconciliés avec la modernité et ont bâti, depuis la Révolution, après de malheureuses hésitations et des complicités coupables, un patrimoine commun avec les démocrates modernistes qu'a scellé la Constitution. Il leur faut, aujourd'hui, rompre totalement avec les fondements d'inspiration takfiriste et les visées totalitaires — adossées à la théocratie — en matière de projet de société. Afin que la lutte en vue de rétablir l'Islam dans son humanité originelle, sa permissivité porteuse de rayonnement et sa modernité, puisse être accomplie dans l'unité la plus large. A l'école, dans les mosquées, dans l'enseignement théologique,... partout où il faudra réhabiliter l'Islam et rétablir son discours équilibré, aux antipodes de la caricature honteuse, xénophobe et barbare qu'ont fabriquée les extrémistes et les intégristes qui terrorisent le monde entier. Il s'agit là d'exigences impérieuses pour mener une véritable guerre au terrorisme, de graves malentendus à lever impérativement, si l'on veut vraiment sceller une unité nationale sincère, crédible et durable.