Le sit-in d'El Kamour dure depuis plus de deux mois et, durant ces deux mois, les politiciens (y compris ceux qui travaillent au sein du gouvernement de l'union nationale) n'ont cessé de nous chanter les louanges du pacifisme qui règne sur les mouvements du gouvernorat de Tataouine. Dimanche 23 avril, les protestataires ont déplacé leur sit-in de la ville pour l'installer dans la région d'El Kamour située à quelques kilomètres de la zone militaire tampon. Là encore, les acteurs politiques ont continué d'encourager, du moins par leurs discours, les jeunes marginalisés de Tataouine qui réclament leur droit au développement et à la dignité. Or, depuis le début des événements, la principale requête des sit-inneurs a été claire : que 20% des revenus du pétrole aillent dans une caisse régionale indépendante destinée à financer des projets locaux. En dépit de toutes les propositions faites par le gouvernement – 64 mesures en faveur de la région, annoncées par le chef du gouvernement, Youssef Chahed, sur place – la coordination du sit-in d'El Kamour s'est renfermée à tout et a préféré continuer son mouvement. Quelques semaines après, et après avoir été chargé du dossier par le chef du gouvernement, le ministre de la Formation professionnelle et de l'emploi, Imed Hammami, a mené quelques autres négociations et a fini par présenter d'autres propositions se résumant en des recrutements massifs des jeunes de la ville. Le message était donc clair dès le début ; il ne suffit pas d'embaucher des jeunes et de construire un hôpital ; Tataouine cherche son indépendance financière pour pouvoir subvenir à ses besoins. Depuis le 23 avril, les routes principales de la ville ont été prises d'assaut par les protestataires qui, en même temps, se sont tranquillement installés à El Kamour en réclamant un droit qui, au fond, peut très bien être considéré comme une revendication scissionnaire : si Tataouine réclame ses 20% des gains pétroliers, pourquoi d'autres villes ne demanderaient pas la même chose pour leurs ressources naturelles demain ? Comment des politiciens responsables et responsabilisés peuvent-ils soutenir une telle requête et venir, quelques jours plus tard, déplorer la tragique évolution qu'ont pris les événements ? Du côté de l'Etat, la situation n'est pas en meilleur état : cela fait presqu'un mois que Youssef Chahed et son équipe ont été évincés du siège du gouvernorat de Tataouine et, à part le limogeage du gouverneur, aucune mesure digne de ce nom n'a été prise en faveur de ce dossier. La Kasbah tout comme Carthage sont restés à observer, de loin, une situation dont l'aboutissement était plus que prévisible. Le 10 mai, le président de la République nous a vaguement parlé d'une décision de charger l'Armée nationale à protéger les sites de production ; depuis, aucune autre précision n'a été donnée jusqu'à ce que la situation explose à El Kamour. A l'heure où le danger continue de guetter de partout un pays aux bords de l'implosion, nous vivons, impuissants, cette ère politique d'un pays qui cherche désespérément ce qu'il lui reste de son Etat.