C'est le deuxième recueil de nouvelles de Noureddine Souli après « El Holm el morr » (Le Rêve amer). L'auteur de « Vous n'enchaînerez jamais la lune », également poète avec à son actif deux recueils publiés après 2011, revient donc à ses premières amours : le récit bref, extrêmement bref, qui n'en raconte pas moins des destins très complexes et qui pose en quelques pages seulement, autant sinon plus de questions que n'importe quel long roman. Dans « Vous n'enchaînerez pas la lune », Noureddine Souli aborde avec réalisme et poésie à la fois des questions sociales aiguës, telles la pauvreté et la précarité, la marginalisation et l'exclusion, l'incurie politique et administrative, l'avenir incertain ou très fragile du monde arabe au milieu des divers projets néocolonialistes qui le tracent. Cependant, et à y regarder de plus près, le nouveau recueil s'attaque à une problématique plus essentielle et moins circonstancielle, à savoir l'écriture littéraire elle-même, son objet, sa raison d'être et sa (ou ses) finalité (s). Dans la nouvelle intitulée « Tourmente », le narrateur est assailli par une multitude de questions sur son propre rapport à la littérature : Ecrire quoi, sur quoi et pour quoi faire ? Comment représenter le réel autour de soi ? Comment dire la crise du sujet en soi et hors de soi ? En fait, Noureddine Souli trahit dans chacun de ses récits, et même dans sa poésie, une angoisse profonde et permanente relative au rôle et à la place de l'intellectuel dans sa société. Comment s'engager, semble-t-il se demander, dans les différents combats qu'impose le quotidien local, national et mondial ? Que faire de sa plume pour préserver « la lune », sa lumière, et le rêve séculaire persistant qu'elle incarne pour les individus et les communautés ? En effet, c'est de rêve qu'il s'agit dans « Vous n'enchaînerez pas la lune » : on sent que les personnages du recueil sont répartis selon qu'ils s'efforcent de nourrir ou au contraire de brimer un rêve essentiel, vital, de tous et de chacun. Sans tout à fait le vouloir, l'auteur se résigne à une forme de manichéisme (peut-être trop réducteur) entre les incarnations du Bien et celles du Mal. Heureusement que la poésie sauve la mise dans le recueil, et empêche ses 14 récits de verser dans la démagogie misérabiliste d'une certaine littérature par trop partisane. Les plus belles pages du livre donnent en effet libre cours à la métaphore fraîche, neuve et fertile qui ouvre larges les portes et les fenêtres de la création et de l'innovation. C'est cette métaphore justement, ce sont ces portes et ces fenêtres du possible justement, qui nous enchantent dans toute littérature et qui nous sauvent, nous autres lecteurs, du désespoir et du néant. ** «Vous n'enchaînerez pas la lune», nouvelles en arabe, de Noureddine Souli, Latrach Edition, Tunis, Juin 2020. Prix public : 12 dt